Des fois, on fait, consciemment, des paris qu’on croit peu risqués… Et on se plante. Cela peut arriver à tout le monde, y compris aux meilleurs. Mais lorsque c’est un pari fait par le Chef de l’État, que celui-ci est, du reste, un habitué des paris ratés, la situation dérape rapidement de l’ennui de parcours au pépin politique majeur.
Après la stupéfaction des attentats du 13 novembre, et encore tout tremblant d’émotion après s’être rendu compte qu’on pouvait en vouloir directement à sa vie, à lui, pour de vrai, François Hollande avait plongé le pays dans l’état d’urgence et l’agitation politique frénétique qui suit maintenant les faits socio-politiques d’importance. Le plan Vigipirate étant déjà rouge écarlate, il n’était pas question de faire moins que ça, et quelques vigoureux coups de mentons plus tard, il apparut assez nettement que même la fermeture des frontières, de toute façon déjà décidée pour la COP21, ne permettrait pas de montrer à la populace qu’on avait vraiment à cœur de prendre le problème à bras le corps.
Il fallait donc poser un geste fort, peut-être symbolique mais indiscutable, qui pourrait montrer à tous que la République, et son premier représentant, le Président des Bisous de Tous Les Français, seraient là pour protéger tout le monde et s’occuperaient de châtier les coupables.
Malheureusement, si les cartons intitulés « Communication Politique » sont toujours très bien remplis des habituels sourcils froncés et de multiples petits coups de menton, les cartons libellés « Actions concrètes » étaient à peu près vides. Apparemment, l’équipe du président n’a trouvé qu’une vieille boîte dans le fond de la cave, un peu gondolée par l’humidité, dans laquelle se morfondait une « Déchéance de nationalité » défraîchie et passablement usagée.
En effet, cette proposition, pas très finaude, a déjà beaucoup servi. Notamment sous la présidence Sarkozy. Rappelez-vous, nous sommes en juillet 2010 et la France nage dans le bonheur d’une politique de droite qui ressemble furieusement à une politique de gauche, coups de mentons y compris, et le petit Nicolas fait son show sécuritaire avec un Brice Hortefeux alors ministre de l’Intérieur. Pour nos deux loustics, l’affaire est entendue :
« La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme ou de toute personne dépositaire de l’autorité publique. »
La suite sera cependant sans surprise : malgré la tentative d’étendre les possibilités de déchéance de nationalité, malgré la régulière remise au goût du jour de cette proposition par de frétillants députés (comme par exemple pour pourchasser les exilés fiscaux), non seulement, cette déchéance sera par la suite aussi peu employée qu’avant, et surtout, cela ne changera rien au comportement des racailles et autres terroristes qui n’ont, il faut bien le dire, pas grand-chose à faire de ce genre de symboles. Bref, à part les cris outragés de toute cette gauche à la moralité irréprochable toujours prête à monter au créneau pour le moindre combat symbolique, le peuple français avait en pratique oublié ces verbiages inutiles.
Cela n’a absolument pas empêché François Hollande de reprendre le flambeau, de s’emparer de la boîte défraîchie du fond de la cave et de s’écrier, les événements du Bataclan encore vivace dans les esprits de tous, qu’il allait remettre la question sur le tapis parce que, scrogneugneu, ça ne se passe pas comme ça en République Française, non mais oh à la fin.
Car c’est un malin, le François ! En agissant ainsi, il faisait donc un pari, que j’évoquais en introduction : celui que la proposition d’étendre la déchéance de nationalité à tous les terroristes et autres wannabe-djihadistes serait plus ou moins retoquée par le Conseil Constitutionnel. Cela lui permettait d’un côté de montrer sa fermeté devant l’atrocité des événements, tout en jouant dans le sens du peuple qu’il devinait sans mal favorable à une telle proposition, mais, oh, zut alors, de se voir empêché dans ses mouvements par les institutions républicaines, tout en ménageant ses troupes dont il devait bien se douter qu’elles ne seraient guère pour ce projet.
Bref, en manœuvrant habilement, Hollande pouvait espérer gagner un peu en popularité, faire bouger les lignes en obligeant la droite à sortir du bois, et revenir un pas en arrière une fois le projet annulé.
Manque de pot, ou plus exactement mauvais calcul, le Conseil n’a pas tiqué. La droite, sentant le soutien du peuple derrière cette proposition, s’est bien gardée de la dénoncer. La gauche se retrouve maintenant tiraillée par le besoin d’abonder dans le sens du président, permettant à ce dernier d’aboutir dans le projet de révision constitutionnelle, et celui, aussi prégnant, de réaffirmer sa complète opposition à cette déchéance que semblent abhorrer beaucoup de ses membres.
À ces considérations déjà complexes, il faut bien sûr ajouter les petits calculs personnels des uns et des autres. Si, pour Valls, l’affaire est entendue et la fidélité au Chef de l’État évidente, il en va tout autrement pour la Garde des Sceaux qui n’a cessé, sur le dossier, de montrer son antagonisme. Entre les couacs de fin décembre (cette dernière expliquant à la presse que le projet avait été retiré, pour être désavouée par le premier ministre un peu plus tard) et ses récentes déclarations dans lesquelles elle estime que cette déchéance n’est « pas souhaitable car son efficacité est absolument dérisoire », sa position devient plus que délicate au sein du gouvernement, et met Hollande un peu plus dans l’embarras.
Bref : les troupes socialistes renâclent ouvertement à voter la révision constitutionnelle si celle-ci devait comporter cette proposition. Une partie du gouvernement semble au contraire trouver ça très bien, pendant que l’autre partie, elle, montre des signes d’opposition de plus en plus franche. La droite, de son côté, a beau jeu de dénoncer le fatras idéologique dans lequel ce petit monde barbote bruyamment. Sarkozy n’a pas de mal à ironiser sur l’affaire, en laissant entendre qu’on aurait viré d’autres ministres pour moins que ça.
En pratique, Hollande a perdu son pari.
L’actuel marécage politique qu’est devenue cette proposition ne lui permettra pas de gagner la moindre popularité. L’esprit un peu trop indépendantiste de Taubira le met dans une panade invraisemblable : s’il la sort du gouvernement, il prend le risque évident de la voir présenter une candidature en 2017 et lui nuire à sa gauche, et la garder continuera de gréver sa maigre crédibilité. Pire encore, le chef de l’État s’est mis en position délicate vis-à-vis de tous les parlementaires : malgré son apparent soutien au projet de révision constitutionnelle, la droite peut quand même choisir de le lâcher en ne la votant pas sur n’importe quel autre motif, rejoignant ainsi la partie de gauche qui ne la votera pas à cause de cette extension de la déchéance. Un rejet de la révision constitutionnelle mettrait le gouvernement (et par ricochet) le Président dans une situation politiquement intenable.
De ce point de vue, les prochaines passes d’armes promettent d’être croustillantes.
D’un autre point de vue, on devra se rappeler que tout cette écume bouillonnante concerne un sujet assez périphérique au danger qui devrait occuper les politiciens. Pur symbole, cette déchéance de nationalité ne permet absolument aucun gain de sécurité pour les Français. L’agitation politique autour de ce bricolage institutionnel évacue complètement toutes les éventuelles propositions qui permettraient d’améliorer la prise en compte de la menace terroriste sur le sol français.
Autrement dit, avec ces manœuvres politico-politiciennes, qui ont tout l’air d’exploser au museau du président, Hollande démontre encore une fois qu’il n’est que dans la communication, l’occupation médiatique, bref, le purement symbolique, et qu’il se contrefiche très probablement d’un terrorisme dont il sait qu’il n’aura personnellement jamais rien à craindre.
Encore une fois, pendant que les politiciens discutent de la déchéance de nationalité, la nation constate la déchéance de ses politiciens.
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