Ce roman, premier tome d’une trilogie, est addictif pour plusieurs raisons, et j’en vois trois principales. La première, c’est qu’il surfe un peu sur la vague des théories du complot : la réalité n’est qu’un vernis, des organisations occultes trafiquant le réel pour faire avancer leurs buts mondiaux, bons ou mauvais. Incontestablement, le CFR en fait partie, avec sa hiérarchie cloisonnée, son « comité exécutif » secret qui seul détient le secret de ses finalités. Et la question de savoir si ses visées sont bonnes ou non pimentent l’histoire et alimentent les dilemmes moraux des jeunes agents que nous suivons dans cette histoire.
Deuxième raison, Les Falsificateurs c’est un peu l’application du principe que rien n’est réel, tout est textuel, story-telling, élément de communication. Ajoutons à cela que l’histoire débute en 1991, fin de la guerre froide, rêve d’une civilisation mondiale débarrassée des vieux démons de son passé, espoirs dans la révolution numérique et le raccourcissement des distances et tutti quanti. Un terrain rêvé pour un jeune scénariste brillant comme l’est notre Sliv, qui se donne à cœur d’alerter l’opinion mondiale, jusqu’aux hautes instances de l’ONU, sur les problèmes du peuple des Bochimans, que le gouvernement du Botswana veut exproprier de leurs terres, en leur inventant la découverte d’une fabuleuse mine de diamants. Et derrière le scénario, il y a le procédé fascinant de falsification des sources : création de personnages à partir de vrais états-civils récupérés, de comptes en banque, de chapitres de livre, d’associations fictives, de faux courriers, modification de bases de données… Comme dirait Galéa, tout doctorant d’histoire devrait au préalable lire les Falsificateurs pour apprendre à se méfier de ses sources ! Mais le retour du bâton du réel ne se fait point attendre, et Sliv va l’apprendre à ses dépens en traitant un peu trop ses sources à la légère…
Et enfin, j’ai vu dans le CFR, son académie pour jeunes poulains prometteurs notamment, la même recette du succès que l’école des sorciers de Harry Potter : on est dans un cercle d’initiés, on suit la trace d’une jeune recrue dans son apprentissage, il y a les agents du CFR (les « sorciers » qui se prennent parfois pour des démiurges) et les autres (les « moldus » qu’illustrent à merveille la sœur et le beau-frère rasoir de Sliv), il y a une académie dont le fonctionnement fait un peu penser à l’ENA (sourire), il y a des secrets, des codes et des procédures, des vieux sages, des anecdotes sur l’histoire séculaire de l’organisation, le mystère de ses origines et de ses fins… Certes, il n’y a pas de Voldemort, mais le CFR se bat bien contre certains adversaires pour parvenir à ses fins. Son ambiguïté fondamentale est un ressort dramatique formidable. On y cultive l’entre-soi mais on est pleinement ouvert au monde : de Reykjavik à Honolulu, de la pampa argentine à Krasnoïark, Sliv voyage et rencontre cette galerie de personnages cosmopolites qui viennent des quatre coins du monde, Maga l’Indonésienne ouverte d’esprit, Youssef le Soudanais intègre, Lena la froide et ambitieuse Danoise (sa relation d’attraction-répulsion avec Sliv va longtemps nourrir l’intrigue, je le prédis), le sympathique Stéphane… Pour finir l’appétit de savoirs dont Sliv fait preuve révèle une érudition impressionnante de l’auteur.
A bientôt pour le tome 2 ;-)