Le president - 8/10

Un film de Henri Verneuil (1961 - France, Italie) avec Jean Gabin, Bernard Blier, Renée Faure, Alfred Adam, Henri Crémieux, Louis Seigner - en N.B.

Passionnant. A voir absolument par ceux qui s'intéressent à la politique.

L'histoire : Emile Beaufort, ex-président du conseil, désormais à la retraite, suit à la radio et à la télé la chute du gouvernement et attend, comme tous les Français, de savoir qui sera le nouveau leader. On entend parler de Chalamont... Et Beaufort est furieux. Pas lui ! Il se souvient de ce jeune collaborateur qui, lorsqu'il était président du conseil, l'avait trahi, et coûté à la France 3 milliards de francs, en pratiquant le délit d'initié au profit de la famille de sa femme, juste avant une dévaluation non encore annoncée publiquement. Beaufort est bien décidé à ce que jamais cet homme ne parvienne à la direction de l'Etat, et il détient dans son bureau un document brûlant...

Mon avis : Au tout début, j'ai eu peur ; je me suis dit "Ouh la la... ça va être hyper bavard..." Ca l'est. Mais c'est Audiard, prouvant - s'il en était besoin - que son talent ne se cantonne pas à la sphère comique. Quelle classe, quelle pertinence, quelle impertinence ! Les dialogues sont ciselés, magnifiques, tellement beaux qu'on a envie de les apprendre par coeur. La séance à l'assemblée et le discours de Beaufort relèvent singulièrement le niveau par rapport à ce qu'on peut voir sur LCP !

Il ne s'agit pas d'un biopic et d'évenements réels, mais d'une politique fiction. Parfaitement réfléchie et maîtrisée. Où l'on entend parler du projet des Etats-Unis d'Europe, par exemple, qui vous sidère totalement tant les enjeux, les ambitions personnelles et affairistes, l'optimisme naïf des uns et les espoirs financiers des autres, illustrent à merveille ce qui se passe aujourd'hui ! Visionnaire. Tout comme ces rivalités, ces petites et grandes trahisons... qui font enrager notre président, un homme intègre, qui incarne la politique telle qu'elle devrait être : la gestion de la nation, jusqu'à s'oublier soi-même.

Et Gabin... que voulez-vous... il est extraordinaire, comme d'habitude ! Irrésistible quand il se met en colère et court au clash avec les députés.

A noter : ce président - attention - contrairement à ce que nous avons aujourd'hui, est le président du conseil qui, sous la IIIe et la IVe république correspondait à notre premier ministre actuel, c'est-à-dire le chef du gouvernement et des ministres. 

Bien qu'imaginaire, l'intrigue s'inspire des discussions parlementaires et l'instabilité ministérielle des IIIe et IVe républiques. Il semble que Emile Beaufort, soit un concentré des présidents du Conseil de cette époque, rappelant, tant par sa fougue que par son bagout, Georges Clémenceau, d'une part, et Aristide Briand par ses opinions pacifistes et son idéologie sociale, d'autre part. Le tout est adapté d'une oeuvre de Georges Simenon.
Une des répliques choc du film pourrait avoir été inspirée de celle de Georges Clemenceau disant à son petit-fils au cours d'une discussion qu'il connaissait des magistrats intègres en France mais ajoutant « J'ai vu aussi des poissons volants ». Dans le film, Beaufort, dénonce à l'Assemblée les pratiques des patrons, uniquement intéressés par la rentabilité ; un député lui fait remarquer qu’il y a des patrons de gauche et le président réplique : « Il y a aussi des poissons volants, mais qui ne constituent pas la majorité du genre ».

Evidemment, ceux qui n'aiment pas la politique vont bailler d'ennui. Pour les autres, ce film est vraiment un must à ne pas manquer ! Et même si on n'est pas hyper pointu sur la période évoquée, ça n'a aucune importance : la mise en abîme avec ce qui se passe aujourd'hui est fascinante. Rien n'a changé, absolument rien. Si ce n'est que des mecs comme Beaufort, il n'y en a pas... Tous trop attachés à leur fauteui et à leurs privilèges.

Et voilà qui entre dans la case Film en noir et blanc du Challenge Cinéma 2016.