Après avoir scénarisé un documentaire pour le compte du Musée de l’Insurrection de Varsovie, L’insurrection de Varsovie, entièrement réalisé à travers des images d’archives, Jan Komasa a transformé l’essai en acceptant d’en faire une adaptation cinématographique au budget conséquent. Il est toujours intéressant de se pencher sur des épisodes peu connu, voir oublié de l’historiographie, de la seconde guerre mondiale. Insurrection, sorti le 24 octobre 2015, chez Koba Films, directement en DVD, retrace de manière romancée, le parcours d’un groupe de résistant polonais de l’Armia Krajowa, armée intérieure de libération affiliée au gouvernement polonais en exil à Londres.
En 1944, humiliés par le Troisième Reich, les habitants de Varsovie sont à bout de souffle. Le 1er août, à l’approche des troupes soviétiques, l’Armée intérieure décide de lancer une insurrection devant durer trois jours dans l’espoir de compter comme force de négociation lors de la reddition des Allemands. Des milliers de jeunes gens rejoignent la Résistance et s’engagent, certain par patriotisme, d’autre par soif d’aventure et par romantisme. Au cœur de la tourmente, Stefan (Josef Pawlowsky) hésite entre deux visions de la vie et de la lutte incarnée par les deux femmes qu’il aimera, Biedranka (Zofia Wichlacz) et Kama (Anna Próchniak).
Dans une perspective très gaullienne, Insurrection oublie que le gouvernement polonais en exil est le représentant de la dictature du général Józef Piłsudski. Dans l’élan nationaliste qui secoue la Pologne contemporaine, le long-métrage de Jan Komasa entretient malgré tout une narration assez juste des événements sans patriotisme exacerbé, s’appuyant surtout à peindre les tourments des insurgés comme ceux des populations civiles, explorant les différents comportements sans y porter de jugement moral. Première manière de ne pas sombrer dans la propagande patriotique de bas étage tout en rendant un hommage fort aux combattants de l’insurrection de Varsovie, Jan Komasa, évite d’en faire des héros, les illustrant surtout comme des gens ordinaires à la fois courageux et dépassés par les événements. C’est ainsi que le détachement de jeunes gens qu’il suit est surtout exalté par le romantisme de la cause que par des idées politiques bien clairs. Ainsi, devant la violence des affrontements, Biedranka fait le choix de la vie et de la survie tandis que Kama incarne la lutte à mort idéalisée par la hiérarchie, une idée pour laquelle, elle est prête à mourir. Stefan oscille de l’une à l’autre. S’il hésite à tuer un blessé allemand sans défense, un allemand lui épargne la vie plus tard. Ce nécessaire moment remet les peuples à leur place dans un conflit dont ils sont les premières victimes, coupant court à toute réactivation de vieilles rancœurs. Cette thématique fut aussi très joliment développée dans La bataille de Sébastopol que l’on avait eu la chance de voir en avant-première lors du Festival de cinéma russe à Nice.
D’un point de vue technique, nous avons littéralement été bluffés par la mise en scène et le travail d’effets spéciaux réalisé par l’équipe Etiop FX. Au visionnage, ceux-ci sont totalement invisible à l’œil nu. Pourtant, les fonds verts sont utilisés partout durant le tournage. Quasiment aucune scène n’a été tournée en studio. La production a loué les trente-cinq mille mètres carrés d’une usine désaffectée pour reconstituer les quartiers détruits de Varsovie. L’utilisation d’effets numériques a permit pour l’essentiel d’effacer et de rajouter des bâtiments, d’améliorer des explosions. Une longue scène où le héros se ballade en tramway dans une rue très connue de Varsovie a été filmé en situation réelle mais les façades des immeubles d’époque ont été reconstituées par ordinateur d’après des images d’archives. Si l’on avait pas vu le making-of, impossible de s’en douter. Quand on voit les effets dégueulasses de production américaine du type Les 4 fantastiques, on ne peut être que surpris qu’un film polonais excelle à ce point dans ce domaine. Dans l’ensemble, Insurrection est très bien rythmé pour un film de guerre sans oublier de caractériser les personnages pour en faire des icônes attachantes. Malgré l’omniprésence de la romance dans le fil de l’histoire, on ne tombe jamais dans la mièvrerie. Seul les deux scènes d’amour sont terriblement kitsch et détonne au milieu du reste.
Véritable drame humain, l’insurrection de Varsovie fut sévèrement réprimée par les nazis. Elle dura finalement soixante-deux jours durant lesquels l’armée soviétique installée au bord de la Vistule décida de ne pas intervenir. Les raisons de cette non-intervention sont âprement débattues par les historiens, les uns arguant que le gouvernement polonais en exil avait trahi ses engagements face aux alliés, les autres que les Soviétiques pratiquèrent la politique de la terre brûlée par intérim, s’assurant ainsi le contrôle de la Pologne sans concertation. Reste que les Varsoviens furent martyrisés par la Weirmacht ne faisant plus guère la différence entre les populations civiles et les insurgés. Au 1er août 1944, Varsovie comptait neuf-cent mille âmes. Sept-cent mille civils durent fuir la ville tandis que, des deux cents mille insurgés, seul mille hommes et femmes survécurent. Insurrection illustre une histoire qu’il serait grand temps d’exhumé et d’en saisir ainsi les grandeurs et les ambiguïtés. L’essentiel de la cinématographie occidentale ne traite que de la Bataille du Pacifique et du débarquement de Normandie. Pourtant à l’Est, les populations ont souffert et l’issue de la guerre sans l’intervention soviétique aurait été plus qu’incertaine. Nous en avions parlé dans Das Reich, une division SS en France. On ne peut que remercier les éditions Koba de donner une existence à Insurrection en dehors de la Pologne. Il est toujours intéressant d’épouser un point de vue différent.
Boeringer Rémy