Quoi de plus noble que de venir en aide aux autres ? Qu’il s’agisse de faire des dons matériels ou bien d’offrir son énergie en tant que bénévole, la charité est une activité économique comme une autre. C’est même un véritable business, dominé par des géants mondiaux, avec ses stratégies et ses dérives.
La mode de l’engagement humanitaire
Dans les années 1970, le nombre d’ONGs explose. Les organisations humanitaires répondent aux besoins nés de drames comme la guerre du Biafra. L’aide sociale et au développement est alors très en vogue, et bénéficie du soutien des institutions internationales, l’ONU au premier rang. L’effet de mode sera ensuite amplifié par l’engagement de célébrités pour des causes humanitaires, à l’instar d’Angelina Jolie (qui a rendu visite à des orphelins haïtiens après le séisme de 2010) mais aussi plus récemment Mark Zuckerberg, qui a annoncé en décembre 2015 qu’il donnait 99% de ses actions Facebook, soit 45 milliards de dollars, à sa fondation (dédiée à la promotion de l’égalité pour les enfants). Si l’engouement pour la charité, en donnant aux associations une meilleure visibilité, est profitable aux plus démunis, on peut se demander si la bonne cause n’est pas pervertie en phénomène de mode ?
Stratégie marketing
La fin ne justifie-t-elle pas les moyens ? Pour attirer toujours plus de dons et atteindre leurs nobles objectifs, les associations sont obligées de fonctionner comme de véritables entreprises. Elles font de la publicité, élaborent des stratégies marketing, ciblent des adhérents potentiels. Une technique courante consiste à échanger des données sur les donateurs avec d’autres associations. Ces derniers sont classifiés selon leur degré d’engagement et l’importance des sommes qu’ils donnent.
Une fois la cible identifiée, les associations ont classiquement recours à un mailing très codifié dont le but est de sensibiliser le destinataire. Il s’agit de le prendre par les sentiments : photos de victimes de catastrophes naturelles, insistance sur la valeur morale du don et sur l’urgence de la situation… En clair, toute une technique rodée pour lui faire lâcher ses sous. Et une fois cette mission accomplie, tout est mis en œuvre pour le fidéliser. La publicité et le marketing ayant un coût, certains déploreront qu’une bonne partie des dons soit utilisée à des fins commerciales, et pas pour servir la bonne cause.
Pourquoi donne-t-on ?
Mais qu’est-ce qui motive vraiment les gens à donner de l’argent aux associations caritatives ? Surprise ! Les motivations des donateurs ne se limitent pas à l’altruisme pur et dur. Faire le bien autour de soi, c’est aussi bien souvent servir son propre intérêt ! Des études ont montré que les gens avaient tendance à ne pas être parfaitement altruistes, car même lorsque les organisations de charité ont reçu suffisamment d’argent pour mener à bien leurs missions, elles continuent à recevoir des dons. Or dans l’hypothèse où les dons seraient motivés par un altruisme pur, la seule préoccupation des donneurs serait le résultat final : une fois ce dernier atteint, on peut ranger son portefeuille ! L’expérience contredit évidemment le modèle de « parfait altruisme ».
Alors pourquoi donne-t-on ? Les chercheurs qui se sont penchés sur la question ont décelé deux raisons, outre le souci d’améliorer le sort d’autrui. La première, c’est le bien-être que procure le sentiment d’avoir fait une bonne action. C’est le « warm-glow giving », phénomène théorisé en 1989 par James Andreoni. On pourrait parler « d’altruisme impur », puisque ce qui importe ici au donateur, ce n’est pas la cause pour laquelle il a dépensé de l’argent, mais le sentiment que cela lui a procuré. En somme la charité est un moyen original de se faire du bien ! Dans une telle perspective, il est moins intéressant pour les donateurs que l’Etat prélève de l’argent destiné aux bonnes œuvres par le biais d’impôts ou de taxes, parce que ce circuit indirect procure moins de satisfaction qu’un don volontaire.
Selon la théorie du warm-glow giving, l’anonymat des dons ne décourage pas ces derniers ; ce n’est pas le cas du second modèle de donateur, j’ai nommé « l’égoïste pur ». Celui-là ne cherche qu’à se faire bien voir et à afficher, par le don, un statut social. Cela explique pourquoi, quand les noms des donateurs sont affichés publiquement, la plupart des gens donnent juste la somme minimum pour entrer dans une catégorie (« sponsors », ou « patrons »), fait qui a été mis en évidence par l’économiste William Harbaugh.
Bien sûr les personnes qui donnent de l’argent ne sauraient être caractérisées par l’un ou l’autre de ces stéréotypes. Chaque modèle intervient de manière plus ou moins prépondérante dans l’acte du don.
Les dérives du charity business
Ne vous imaginez pas que les ONGs incarnent la vertu morale de notre temps. Bien qu’une grande majorité d’entre elles aient des motifs respectables, les dérives existent bel et bien. En 2003, l’ancienne présidente d’Action contre la faim Sylvie Brunel publiait déjà un livre dans lequel elle ménageait peu un milieu qu’elle connaît bien. Abus sexuels sur les populations à secourir, salaires exorbitants des cadres travaillant pour les ONGs, et autres réjouissances étaient au programme. En 2002, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) avait d’ailleurs ouvert une enquête impliquant 67 employés d’organisations humanitaires mobilisés au Sierra Leone, en Guinée et au Liberia et accusés d’avoir forcés des réfugiés à avoir des relations sexuelles avec eux en échange de nourriture. Assez glauque, vous le voyez. Plus récemment, en 2014, le président de l’ONG Enfants du Cambodge a été arrêté suite à des soupçons d’agressions sexuelles sur 7 enfants dont s’occupait l’association. Quand ils ne traumatisent pas des populations fragiles, les humanitaires sans morale détournent des fonds. De 2010 à 2012, la Croix Rouge brésilienne a ainsi détourné 8,3 millions d’euros de dons et d’aides publiques destinés à des campagnes humanitaires.
Même quand elles sont bien intentionnées (ce qui est quand même le cas de figure le plus courant), les ONGs peuvent avoir une action négative. Elles contribuent à plonger les pays en difficulté dans l’assistanat, sans remédier aux causes politiques de la misère. Malgré elles, elles consolident les dictatures en dispensant les chefs d’Etat autoritaires de faire leur travail et en leur apportant des recettes supplémentaires à travers les dons qu’elles collectent.
Par définition non-gouvernementales, les ONGs sont en fait bien souvent dépendantes des subventions des Etats et des institutions internationales. Pour attirer ces financements, elles sont d’ailleurs contraintes de pratiquer une charité sélective, en choisissant d’intervenir uniquement pour les causes et les pays les plus médiatisés.
Certaines organisations vont jusqu’à se prétendre non gouvernementales alors qu’elles sont contrôlées à 100% par des Etats. Ce sont les GONGOs, Government Organized Non-Governmental Organizations. Bizarrement les états qui les gèrent sont souvent non démocratiques… Ces pseudo ONGs sont en effet un outil précieux pour tout dictateur avec un peu d’ambition. Leur instrumentalisation permet de faire du lobbying en toute impunité, ou d’asseoir un pouvoir politique. Au Myanmar, l’organisation Myanmar Women’s Affairs Federation n’a rien d’un gentil mouvement de défense des droits des femmes. C’est un opposant féroce à Aung San Suu Kyi, créé par les femmes des généraux de la junte militaire au pouvoir.