L’immigration
vue par les artistes
Ces dix artistes ont fait de l’exil leur thème de prédilection. Avec des approches variées, ils s’emparent du phénomène migratoire pour soulever des débats aux frontières de l’art et de la politique.
Leurs œuvres engagées, nous amènent à la rencontre des migrants – dans les lieux sensibles du transit ou du cantonnement – et nous forcent à considérer l’immigration sous un angle humain, dans sa dimension individuelle ou au contraire universelle.
- Banksy
- Mona Hatoum
- JR
- Mathieu Pernot
- Bruno Serralongue
- Jean Révillard
- Zineb Sedira
- Favianna Rodriguez
- Samuel Gratacap
- Ghazel
Courtesy the artist
BANKSY
Banksy est le pseudonyme d’un street-artist britannique devenu incontournable malgré son anonymat. À l’été 2015, il a monté une gigantesque exposition collective et temporaire dans le sud de l’Angleterre sous la forme d’un parc d’attraction (Dismaland). Les matériaux ont ensuite été expédiés à Calais pour servir à la construction de baraquements.
À Calais, Banksy a également choisi de représenter Steve Jobs pour mettre à mal les stéréotypes sur la migration économique. En effet, le fondateur d’Apple était d’abord un fils d’immigré syrien, avant de devenir un symbole du rêve américain.
La seconde œuvre, apposée au pochoir sur un mur de Calais, remet au goût du jour le motif du célèbre « Radeau de la Méduse » de Théodore Géricault pour dénoncer l’inaction des pouvoirs publics européens face aux naufrages meurtriers des embarcations de migrants en Méditerranée.
MONA HATOUM
Mona Hatoum est une artiste d’origine palestinienne, née à Beyrouth en 1952. La guerre éclate au Liban alors qu’elle se trouve à Londres en 1975 et elle se retrouve dans l’impossibilité de rejoindre sa famille. Cette exil subi va marquer durablement son travail, depuis ses premières performances dans les années 80 jusqu’à ses objets-sculptures des années 2000.
En 2008, Boukhara (red & white) détourne un tapis persan, cet objet intrinsèquement lié au mode de vie nomade. Une mappemonde se détache sur sa surface, par un arrachement symbolique, une blessure qui fait disparaître le tissage (social) et laisse affleurer une trame dénudée.
JR
JR est un artiste français dont le travail de street-portraitiste a été révélé après les émeutes parisiennes de 2005, lorsqu’il a commencé à placarder les visages grimaçants de jeunes de banlieues dans les quartiers chics de la capitale. Il a depuis systématisé son procédé artistique (prise de vue en grand angle et impression à grande échelle) dans les zones les plus sensibles du monde : les favelas de Rio, le mur de Jérusalem, les bidonvilles de Monrovia, etc.
Unframed, Ellis Island (2014) est une installation et un court métrage qui ont pour décor l’île d’Ellis, la porte d’entrée new-yorkaise vers le nouveau monde. De 1892 à 1954, cet avant-poste a servi à l’administration douanière pour contrôler environ 12 millions d’immigrés, dont une partie restait cantonnée sur l’île. Cette œuvre rend ainsi hommage à une foule d’anonymes.
MATHIEU PERNOT
Mathieu Pernot est un photographe originaire de Fréjus qui a d’abord choisi la communauté tsigane comme sujet de prédilection. Ses travaux l’ont ensuite amené à révéler sous des formes sensibles les problématiques d’intégration sociale dans les banlieues françaises (voir ses séries sur les grands ensembles ou Les Hurleurs).
Dans sa série Les Migrants initiée en 2009, Mathieu Pernot capture au petit matin des migrants afghans emmitouflés dans leurs draps ou leur sac de couchage. Ces formes anonymes et coupées du monde évoquent pour lui « les corps des champs de bataille, d’une guerre que nous ne voyons plus ».
BRUNO SERRALONGUE
Bruno Serralongue est un photographe français né en 1968. Sa démarche est assez proche du photojournalisme tout en s’en distinguant dans la forme – il travaille à la chambre photographique – comme dans le fond. Il puise ses thèmes dans l’actualité politique, mais choisit toujours d’en représenter les coulisses, ce qu’il appelle « la périphérie de l’information. »
Ses photographies des migrants de Calais (exposées par la galerie Air de Paris lors de Paris Photo 2015) partagent l’intimité des clandestins et révèlent en filigrane les conséquences pratiques de la fermeture du camp de Sangatte en 2002. Son travail se poursuit dans les refuges éphémères, les forêts et les nouveaux camps, où il se fait le témoin d’une violence latente entre les communautés concentrées.
JEAN RÉVILLARD
Jean Révillard est un photographe suisse né en 1967. Comme Serralongue, il privilégie des sujets d’actualité sous une approche artistique. Il dirige également plusieurs galeries (Europa à Genève et Focale à Nyon) ainsi qu’une agence online (rezo.ch) qui défend une approche militante de la photographie.
Pour sa série Jungles calaisiennes, le photographe s’est familiarisé pendant deux ans avec les migrants réfugiés dans la forêt. Il privilégie une approche objective en choisissant de représenter les abris sans les migrants. Ces cabanes misérables, photographiées au flash à la tombée de la nuit, prennent une improbable dimension esthétique qui a pour vocation d’attirer l’attention du public par un moyen détourné.
ZINEB SEDIRA
Zineb Sedira est une photographe et vidéaste française, née en 1963 et installée à Londres. Puisant dans ses expériences personnelles, son travail développe une réflexion approfondie autour du concept de transmission identitaire, mais également environnementale ou politique.
Mother Tongue (2002) met en scène trois rencontres : l’une en arabe entre l’artiste et sa mère kabyle, une seconde en français avec sa fille anglophone et une troisième, impossible, entre la grand-mère et la petite fille. Cette installation met en exergue la richesse de l’identité multiculturelle tout en pointant ses limites.
FAVIANNA RODRIGUEZ
L’artiste et militante Favianna Rodriguez dédie entièrement ses créations à des objectifs politiques : sociaux, féministes, pacifistes… Pour son action contre le racisme aux États-Unis, elle a adopté pour emblème le monarque, un papillon qui migre deux fois par an depuis le Mexique et qui symbolise pour elle la migration naturelle.
Migration is beautiful est une série de trois web-documentaires, produits par le chanteur Pharell Williams, qui évoquent diverses actions artistiques condamnant les inégalités ethniques et l’intolérance des mouvements conservateurs américains.
SAMUEL GRATACAP
Samuel Gratacap est un photographe et vidéaste français, né en 1982, qui s’attache à mettre des visages sur les phénomène migratoires et transitoires. Son travail de collecte l’a conduit dans le centre de rétention administrative du Canet à Marseille, sur l’île de Lampedusa, puis dans le camp de réfugiés de Choucha en Tunisie.
La série Les Naufragé(e)s est le résultat d’une visite au camp d’enfermement pour migrants de Zaouia, à 80 km à l’ouest de Tripoli. Il ne sera resté qu’une heure sur place, sous étroite surveillance policière, mais les propos qu’il recueille en français et en anglais sont accablants. Les geôliers ont sommé les prisonniers de lui dire qu’ils avaient tenté de traverser la Méditerranée, alors qu’ils ont été enfermés arbitrairement en Libye. Sans même pouvoir prévenir leurs proches, les captifs ne savent pas s’ils seront libérés.
Cette installation est exposée jusqu’au 17/01/16 dans le cadre de la Biennale de la photographie du Monde arabe, sur la terrasse de l’Institut du Monde Arabe.
GHAZEL
Ghazel est une artiste d’origine iranienne, née en 1966. Son travail utilise l’humour, la dérision ou l’appropriation pour aborder de manière détournée des questions identitaires.
La série Urgent (1997-2007) voit le jour après que l’artiste ait reçu un avis préfectoral lui signifiant que sa carte de séjour ne serait pas renouvelée. Ces affiches détournent les codes des petites annonces en proposant ouvertement un mariage blanc. En 2002, elle recevra finalement sa nouvelle carte de résident et poursuivra la série en proposant cette fois un mariage à un clandestin. S.P.F signifie ici « Sans Papier Fixe » et R.D.D « Résidente à Durée Déterminée » !
EN BONUS : AI WEIWEI
Le célèbre artiste et dissident chinois a déclaré lors d’une conférence de presse le 1er janvier 2016 qu’il avait ouvert un studio sur l’île grecque de Lesbos et qu’il avait l’intention d’y ériger un monument en hommage aux migrants qui ont perdu la vie en mer en tentant la traversée.
Sur ce cliché qu’il a diffusé sur Twitter, Ai Weiwei présente un gilet de sauvetage d’enfant ramassé sur la plage.
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