d'après Maupassant N°33

Publié le 09 janvier 2016 par Dubruel

~~ Un vieux garçon

D'après LA ROUILLE (14 septembre 1882)

Il chassait tous les jours. Il chassait au tiré, à courre, au chien courant, au chien d'arrêt, à l'affût, au miroir, au furet. Il ne parlait que de chasse, ne rêvait que de chasse !

Âgé de cinquante ans, le marquis Gustave de Frémont, chauve, grand, maigre et célibataire habitait seul dans son grand manoir. Il ne fréquentait que ses voisins, de riches bourgeois, les Bertin.

Un jour, Mme Bertin lui déclara : -" Je vais, parmi mes amies, te trouver un bon parti. "

Le mois suivant, elle lui présentait Louise Larminat, une veuve de quarante ans encore jolie et au caractère charmant. Gustave lui plût aussitôt. Elle lui posait maintes questions sur les sentiments des lapins et les machinations rusées des renards.

Le marquis, ravi par l'attention que Louise prêtait à son passe-temps préféré, voulut lui témoigner son estime. Il la pria de participer à l'ultime chasse de la saison. Elle accepta l'invitation. Gustave lui apprit à épauler, à viser juste. Il lui enseigna l'importance de la direction du vent, et les différents arrêts.

Quelques jours plus tard, son ami Bertin lui demandait : -" Pourquoi ne l'épouses-tu pas ? "

-" Tu as une fameuse idée mais j'aimerais que tu la prépares à m'accepter. "

-" Inutile. Je crois que tu peux lui demander sa main sans tarder. "

-" Très bien. Mais je dois auparavant faire un petit voyage d'affaires. "

Ce voyage dura longtemps. Une semaine, deux semaines, trois semaines...Gustave ne reparaissait pas. Les Bertin ne savaient pas comment expliquer à Louise Larminat une si longue absence.

Tous les deux jours, ils passaient prendre des nouvelles au manoir. Le valet n'en avait pas reçu. Un jour enfin, le marquis réapparut chez les Bertin. Il s'approcha de son ami et lui expliqua :

-" Le projet que tu as formé pour moi avec Louise n'aboutira pas. Je t'expliquerai pourquoi. "

Le couple Bertin alors délibéra : caches-t-il quelque mystère : un enfant naturel, une ancienne liaison ? L'affaire paraissait grave. On prévint Louise qui s'en retourna chez elle, veuve comme elle était venue.

Le lendemain de son départ, Bertin entreprit Frémont :

-"Quand on a des secrets dans sa vie, on ne pousse pas ses pions aussi loin comme tu l'as fait. " -" Tu as raison mais depuis trente ans, je ne vis que pour la chasse, tu le sais. Aussi, avant de m'engager, un scrupule m'est venu...Depuis longtemps,...j'ai perdu l'habitude de...de...l'amour. Enfin, je voulais m'assurer pouvoir...Tu comprends. Voici seize ans...que...pour la dernière fois...j'ai... Dans ce pays, ce n'est pas aussi facile... que tirer un coup de fusil ! Bref, j'ai eu peur et me suis demandé : '' Si je n'y arrivais pas ?...Alors, je suis allé à Paris, pour... savoir. Au bout de huit jours, rien, mais rien. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé ! Ces dames de la place Pigalle et de Montmartre ont fait ce qu'elles ont pu. Elles n'ont rien négligé. Mais que veux-tu... J'ai persévéré trois semaines, espérant toujours. J'ai avalé des plats poivrés qui m'ont perdu l'estomac et puis... rien, toujours rien ! Tu comprends, dans ces conditions, que je devais renoncer. Voilà, je t'ai tout avoué. "

Bertin rapporta ces paroles à son épouse qui objecta :

-" Quand on aime sa femme, cette chose-là revient toujours. "