Après Django Unchained, Quentin Tarantino dégaine pour décortiquer le western, son genre de prédilection, en mettant en scène un huis clos sanglant dynamisé par huit personnages délicieusement détestables. Entre quatre murs, emprisonnés par un blizzard aveuglant, les protagonistes font leur show pendant un spectacle de presque trois heures. Alors, intéressons-nous à l'essence de ces salopards, véritables reflets du film et échos des précédents du réalisateur, en analysant huit de leurs caractéristiques. Ils sont :
1. Réjouissants
Les protagonistes de l'univers cinématographique de Tarantino sont toujours modelés avec un style singulier et une flamboyance certaine. Les huit salopards ne font pas exception à la règle. Présentés esthétiquement comme des super vilains du Far West, ils deviennent dés les premières minutes la source de plaisir essentielle des spectateurs grâce à la complicité palpable entre les acteurs, tous (ou presque) habitués des fresques sanglantes du cinéaste. Alors, les jeux s'équilibrent, se provoquent, s'explosent en plein visage pendant près de trois heures de prestations sans fausses expressions.
2. Bavards
Pour que les comédiens s'adonnent aux plaisirs du jeu, Tarantino leur concocte des dialogues savoureux et leur impose des accents rudes. Les répliques, qui ne cessent de fuser, deviennent une source d'ivresse pour l'oreille bercée des spectateurs. La voix intensément rauque de Michael Madsen se heurte au pincement joyeusement anglais de celle de Tim Roth, tandis que la gouaille stridente et pâteuse de Jennifer Jason Leigh provoque les sonorités d'outre tombe de Kurt Russel ; le tout pour créer une drogue auditive.
3. Des hommages
Le cinéma de Tarantino est connu pour faire l'éloge de celui d'antan. Les huit salopards réincarnent des esprits immortels des westerns, non sans leurs brins tenaces d'originalité ; Tarantino reste tout de même un inventeur. Ils se démarquent comme des caricatures des héros cinématographiques de leur réalisateur et font sans cesse des clins d'oeil aux passionnés de westerns. Ils aiment leur café fort, comme le prépare Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l'Ouest, tandis que certains se perdent dans les paysages enneigés du Grand Silence de Sergio Corbucci.
4. Engagés
L'engagement politique et social des salopards ne se fait pas toujours pour la bonne cause. Certains, comme le shérif et le général, se sont battus contre l'abolition de l'esclavage. Face à eux, Warren et John Ruth, défenseurs des Etats du Nord. En mettant en scène un contexte politique tendu, Tarantino peut, encore une fois, défendre la cause afro-américaine en exposant crument le problème du racisme. Après Django Unchained, une autre vengeance s'illustre, plus dérangeante encore. Notons une phrase brillamment articulée par Samuel L. Jackson : « L'homme noir sera toujours menacé tant que l'homme blanc est armé ». Un écho résonne : les bavures policières meurtrières contre la population noire aux Etats-Unis…
Pour ce qui en est de la misogynie, le cinéaste tente aussi une dénonciation, plus plate, complètement inaboutie, à travers le personnage de Daisy Domergue, détestée et brutalisée par tout l'univers masculin, sans qu'on ne sache vraiment bien pourquoi. Hélas, les vengeresses Black Mamba et la meute enragée de Boulevard de la mort paraissent bien loin…
5. Intrigants
Au cœur du trouble se mettent en place des bribes d'enquête policière et les salopards se mettent à jouer à un « cluedo humain ». Ils deviennent des pions géants malléables par des maîtres du jeu. On pense à Agatha Christie et à ses huis clos policiers, et un questionnement surgit : qui n'est pas ce qu'il prétend être ? Le suspense n'a pas vraiment le temps de s'installer, il est rapidement terrassé par un dénouement prévisible, aux allures grossières. Tarantino, sans maladresse aucune, choisit de placer une tension en suspens là où on ne l'attend pas. Une certaine frustration se fait alors ressentir.
6. Violents
La couleur rouge ne peut s'absenter de la palette chromatique d'une œuvre de Tarantino. Ici, les protagonistes sont en roue libre, déferlent sans limites et ne se font pas prier pour vider leurs chargeurs. Après les séquences d'explosions de tirs, moins esthétiques et jouissives que celles de Django Unchained ou de Inglorious Basterd, vient la souffrance, trop étirée, jusqu'à en devenir d'une lourdeur interminable.
7. Fatigants
Puis vient la secousse finale. La perte de contrôle du film se fait avec maîtrise et le résultat se dévoile très déstabilisant. Alors, les salopards nous fatiguent et se font pantins d'un grotesque souvent embarrassant. L'humour est délaissé au profit d'une absurdité qui laisse perplexe, au cœur de laquelle des négociations n'en finissent jamais. Rien ne semble faire taire ces salopards. Rien ?
8. Attachants ?
Malgré l'irrégularité du film, les huit salopards restent des personnages tarantinesques par excellence dont la trajectoire outrageusement tragique reste, pendant un temps, agréable à contempler.
Pour son huitième film, Tarantino prouve encore une fois sa maîtrise parfaite de réalisateur et affirme son génie dans la direction de ses comédiens (excluons peut-être Channing Tatum, sans méchanceté aucune). La mise en scène et les acteurs sortent triomphants, pendant que l'irrégularité provocatrice leur met des bâtons dans les roues. Alors, on se demande quel est l'ingrédient manquant, tout en sachant que le « trop » est celui qui fait tout déborder …