Avec Les 8 Salopards, Quentin Tarantino se devait de faire parler la poudre autrement que dans Django Unchained tout en personnalisant son hommage appuyé au genre western. La deuxième incursion dans l’entre chien et loup du Far West n’a pas la fougue de son héros Django : ce huitième long-métrage approfondit le huis-clos de Reservoir Dogs. Partage la verve de Pulp Fiction. Répand quasi autant de sang que dans Kill Bill.
L’huis-clos transfigure les acteurs réguliers de la cinématographie de Quentin Tarantino. Il donne en toute précision un supplément de poudre à une situation lente à démarrer transformée en un scénario noueux. L’écriture souffre d’écueils mais doit faire partie des proses les plus maîtrisées, les plus politiques et historiques du cinéaste américain.
Amorce lente.
L’introduction est d’une longueur … quasi épouvantable ! Elle a sa fonction, très précise, mais est difficilement digérable pour débuter Les 8 Salopards.
Quelque part dans le Wyoming, un jour de blizzard, une diligence chemine vers le gibet de potence le plus proche : Red Rock. 10 000$ récompenseront le chasseur de primes prêt à livrer ou justifier la capture de Daisy Domergue (Incarnée par Jennifer Jason Leigh). En chemin, se croise un peu plus de huit individus au minimum suspects et tous coupables …
Les temps et actions de la première heure se réduisent à un strict minimum. Une sensation de symétrie entre les nouveaux invités de la diligence intervient assez rapidement.
Pour décrire le plus fidèlement The Hateful Eight, il faut replacer Quentin Tarantino dans la peau d’un cow-boy. (Tout comme dans Django Unchained.) L’homme au colt nous mène où il l’entend, il prend d’ailleurs tout son temps pour ourdir son plan : l’assoupissante introduction, la première heure d’acclimatation, toutes les deux agaçantes peinent à séduire au premier coup d’œil et s’avèrent de la plus haute nécessité pour nous convaincre. Schématiquement, le réalisateur peut adepte de poser son doigt sur la couture de son jean’s, ne songe qu’à mettre son index sur la détente à la deuxième heure pour un final à 6 coups. (48 dernières minutes haletantes sur un total de 2h48) Astucieusement, Quentin Tarantino perfectionne le rythme inégal de Reservoir Dogs en parvenant à plonger l’audience dans un récit ascensionnel maîtrisé et chronologiquement bouleversé.
Après une mise en situation et présentation quasi académique, la tonalité se charge d’électricité, de mensonges et de, peut-être, quelques soupçons de vérité.
En s’imposant une limite nette dans les lieux, Les 8 Salopards extirpe les forces suffisantes et s’arrange avec les faiblesses liées à ce choix. Dans sa grande qualité, chacun des acteurs ira de sa partition mensongère, pour vivre ou pour précipiter les événements, vraie ou fausse, le vice est poussé jusqu’à son illustration. (Rien ne dit que la narration grivoise de Samuel L. Jackson a un fond de vérité.) Les volontés fulgurent au détour de dialogues échauffés par la politique (La division entre Nordistes et Sudistes reste vive.) : la comédie devient aussi cynique qu’humaine en traduisant presque autant de points de vue qu’il existe de personnages en scène dans une cabane de bois humide. The Hateful Eight a le défaut de nous bercer de paroles répétitives sous les traits altiers de Kurt Russel. (Entre autres.) Sa densité d’insultes et de paroles en apparence vaines dosent la tension, se distillent dans la progression et après élagage attentif des cinéphiles-analystes, disposent d’un contenu capables d’aller bien au-delà des portraits fictifs. Muni d’un scénario en apparence plus tortueux que Reservoir Dogs, Les 8 Salopards donne le sentiment d’un film plus construit, plus théâtral, plus intéressant encore.
Quentin Tarantino se prend peut-être très au sérieux pour certains. Il y a toujours une langue rugueuse et plus que familière … avec un propos beaucoup plus riche. Si riche que deux visionnages ne seraient pas excessifs pour saisir la densité des dialogues.
Intellectualisé, probablement inspiré par ses lectures et de grands classiques, le huitième film de Quentin Tarantino brigue à sa manière la place de la meilleure réalisation artistique du cinéaste.
Amour de soi, amour du cinéma.
La bande-son n’est pas aussi magistrale que dans Django Unchained en raison de la visée. Clairement émotionnelle dans son premier western, Ennio Morricone concocte une bande-son glaciale, effrayante, à même de révéler le pire chez un homme. (Et ici, ils sont nombreux.)
A la seule raison du sens pathologique du mot « mégalomanie », la modestie n’appartient plus au vocabulaire cinématographique de Quentin Tarantino. L’orgueil suintant d’Inglorious Basterds rencontre en 2016 une oeuvre digne de fierté, bien que cette grandeur laisse échapper des soupirs d’agacements. Le caprice d’indépendance traduit par le choix d’une pellicule 70 mm se répercute numériquement par des mouvements de caméra lents et larges adaptés à la narration.
Pour beaucoup d’entre nous, il faudra se contenter d’une version numérique et non en 70 mm. Le résultat ne manque pas d’être fin et net, probablement moins que ne le devrait être le film original.
Moins mémorable, moins sensationnelle que dans Django Unchained, pour être ainsi vouée à renforcer l’ambiance d’atroce comédie, la bande-son porte la signature tant espérée d‘Ennio Morricone. La majeure partie des pistes instrumentales synthétisent idéalement notre déconfiture à mesure des révélations, des chutes de la poudreuse collante et du froid extérieur. (La piste Snow devenue quasi « le » thème de The Hateful Eight résume cela à merveille.)
Les signatures stylistiques du cinéaste telles que la caméra qui contourne les acteurs, les ralentis quasi systématiques, les déflagrations sanglantes proches de l’horreur grotesque, coudoient cette fois-ci une myriade raisonnée venues tout droit des autres réalisations de Quentin Tarantino. Bout à bout, à l’angle d’une image, l’acteur Michael Madsen dans sa peau de cow-boy mal dégrossi, porte un regard rappelant étrangement une scène précise de Kill Bill. (Sur un corps, là aussi, inerte.) La lettre illuminée artificiellement de Samuel L. Jackson n’a que quelques gouttes de différence avec la mallette dorée de Pulp Fiction. (Sans compter le temps nécessaire avant d’en connaitre le contenu !)
La revisite interprétative de l’imaginaire de Quentin Tarantino corroborerait la grandeur ambitionnée (Et le plaisir) à retravailler Reservoir Dogs sans apparaître, cette fois-ci, à l’écran. Le chapitre IV « Daisy Has Got a Secret » du long-métrage, en tout état de cause, ne coupe pas au sens d’un amour propre à très haute-estime : en guise de transition, une voix explique naïvement « les 15 dernières minutes ».
On a détesté :
– Une bande-son moins mémorable. (Mais extrêmement intéressante à l’écran.)
– Kurt Russel, imbu de sa proie et atteint de « répetitionite » aiguë.
– Une introduction lente et longue : pénible mais nécessaire.
On a aimé :
+ Un film incroyablement dense : des paroles et des images qui raviront les plus cinéphiles d’entre nous.
+ Un récit maîtrisé jusqu’au bout.
+ Ni Django Unchained ni Reservoir Dogs : Les 8 Salopards fait partie des plus intéressantes réalisations de Quentin Tarantino.
+ Une direction d’acteurs renouvelée : (Alors que beaucoup ont déjà travaillé avec le réalisateur en question.)
+ Un fond politique et historique pertinents.