~~ Noce normande
D'après FARCE NORMANDE (8 avril 1882)
Le marié, Louis Jardy, le plus riche fermier du pays, était un chasseur frénétique. La mariée, Rosalie Toudic avait été maintes fois courtisée car on la savait bien dotée.
Pour le déjeuner, on s'était assis à deux heures. On mangeait encore à huit. Plus on buvait, plus on engloutissait. Les fermières oppressées, coupées en deux par leur corset, gonflées du haut et du bas, restaient à table par pudeur. Quand l'une d'elle, sans doute la plus gênée que les autres, se dressa et sortit pour soulager sa rondeur, toutes les autres se levèrent, à sa suite, partirent s'isoler et revenaient plus heureuses.
Les lourdes plaisanteries pleuvaient. Dans un coin, trois convives préparaient aux jeunes mariés une farce qui semblait vraiment joyeuse. Ils en trépignaient :
-" C'est les braconniers qui vont s'en donner c'te nuit, avec la lune qu'y a ! T'en penses quoi, Louis ? "
Louis Jardy se tourna vers eux : -" Qu'i z'y viennent, les braconniers ! "
Son voisin cria dans un éclat de rire : -" Ah ! I' peuvent ben y venir. Tu quitteras pas ta besogne pour ça ! "
-" Qu'i' z'y viennent ! ", répondit le marié.
Après avoir sifflé le dernier verre d'eau de vie, chacun partit. Les jeunes époux entrèrent dans leur chambre située au rez-de chaussée de la ferme. D'un œil sensuel, Louis guettait Rosalie. S'apprêtant à se mettre à l'ouvrage. Il quitta son habit. Elle, avait déjà défait sa robe de mariage et murmura : -" Viens donc au lit. "
Dix minutes après, Louis entendit un coup de feu dans le bois voisin. Il se dressa, avança à la fenêtre, se pencha au dehors, regarda mais ne vit rien. Il regagna le lit et étreignait Rosalie.
Une nouvelle détonation retentit. Louis, secoué de colère, jura : -" Nom de Dieu...! Ils croient qu'à cause de toi, ma Rosalie, je ne sortirai point ! "
Il se rhabilla, décrocha son fusil, sauta dans la cour et parcourut tous les sentiers de la petite forêt à la recherche des braconniers.
Pendant ce temps, Rosalie patientait. Mais au bout d'une heure, elle se résolut à réveiller le charretier, le valet et le volailler. Elle leur demanda de partir à la recherche de leur maître. Ils le trouvèrent à un kilomètre, ficelé des pieds à la tête au tronc d'un chêne. Sa culotte et sa veste avaient été enfilées à l'envers. À son cou pendaient un lapin, une perdrix et un écriteau sur lequel on avait écrit : 'Qui va à la chasse, perd sa place' !