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Libéralisme et liberté d'expression (2/2), sous la direction d'Henri Lepage

Publié le 07 janvier 2016 par Francisrichard @francisrichard
Libéralisme et liberté d'expression (2/2), sous la direction d'Henri Lepage

Libéralisme et liberté d'expression est un livre collectif paru il y a quelques six mois sous la direction d'Henri Lepage. Il comprend une introduction, une présentation des auteurs, neuf contributions, et une postface.

Après une recension des trois premières contributions, faite dans une première partie, voici celle des six suivantes, qui sont la reprise de textes déjà publiés sur le site de l'Institut Turgot.

Damien Theillier remarque que les autorités publiques françaises menacent davantage la liberté d'expression que "les fanatiques proclamés". En effet elles se sont dotées d'un arsenal juridique répressif en la matière comme nulle part ailleurs, avec, par exemple, les lois Pleven et Gayssot qui font un délit, respectivement, de la provocation à la haine et à la discrimination et de l'opinion sur la Shoah.

La prémisse de la philosophie politique libérale est le principe de non-agression. Il faut entendre le terme d'agression au sens fort d'agression physique, à laquelle ne peuvent être assimilés aucune parole, aucun discours, aucune insulte. Il en va différemment d'une menace d'agression ou d'un appel à l'agression, qui, à l'évidence, ne sont pas des opinions.

Sinon, "on ne répond à des opinions que par des opinions. Et on réprime des actes."

Damien Theillier donne trois raisons pour justifier le marché libre des idées:

- morale: sans liberté de choisir et de penser par soi-même il n'existe pas de responsabilité morale

- épistémologique: "le libre échange des idées est le meilleur moyen de faire émerger la vérité"

- prudentielle: la censure a pour effet d'exacerber les passions en les rendant souterraines et plus difficiles à combattre et elle permet de réduire au silence les adversaires politiques...

Les limites de la liberté d'expression ne doivent pas être fixées par la loi dont "le rôle est simplement de réprimer les agressions, les violences, pas de décider qui, ni quand, ni comment on a le droit de s'exprimer". Dans l'espace privé, "la liberté d'expression est intrinsèquement limitée par le respect du droit de propriété".

(Exemple: sur mon blog, "j'ai le droit d'exprimer les opinions qui me tiennent à coeur"... et de ne publier que certains commentaires...)

La liberté d'expression doit s'accompagner de retenue dans son usage. En matière de liberté d'expression cette retenue, c'est la civilité, comme le rappelle Pierre Bessard: "La liberté d'expression n'est pas une caution à dire ou à publier n'importe quoi en n'importe quelles circonstances, elle est la condition de pouvoir dire et publier ce que l'on juge approprié et pertinent." Mais c'est au libre arbitre de chacun de concilier liberté et responsabilité. 

Gilles Dryancour constate, en comparant les Etats-Unis et la France sur la même période des deux derniers siècles, que le premier pays, hors la période de la guerre civile, est plus stable politiquement que le second (quinze constitutions, trois révolutions, quatre guerres civiles à son compteur etc.) et qu'il y a un lien avec la liberté d'expression (premier amendement aux Etats-Unis, nombreuses périodes de censure en France):

"A l'aune de l'histoire, il semble donc que les sociétés tolérant la diversité des opinions ne sont menacées ni d'éclatement ni de radicalisation. En revanche, celles réprimant les opinions marginales ne trouvent aucun équilibre durable et connaissent la menace permanente de sombrer dans le chaos et la violence."

Il explique que "dans une société de liberté, l'intégration des valeurs se fait par l'échange social ou économique. Les individus se rendent rapidement compte qu'un comportement fondé sur des opinions marginales nuit à l'échange."

Il n'en est pas de même dans une société fortement socialisée, où "les revenus ne dépendent pas uniquement des efforts personnels" et où la plupart d'entre eux sont redistribués par la contrainte: "Les individus peuvent nourrir des opinions hétérodoxes sans avoir à redouter d'être marginalisés."

Gilles Dryancour reprend l'argument employé par Jean-Philippe Delsol dans sa contribution (voir partie 1/2).

Celui-ci dit en effet: "Par sa prodigalité mal placée, l'État social alimente une poudrière qu'il n'a plus les moyens de contenir. Il abaisse, en l'entretenant de mauvais subsides, une population qui bientôt se révolte en se nourrissant des thèses radicales qui lui donnent à rêver."

Gilles Dryancour, s'appuyant sur ce que l'on connaît des parcours de vie des frères Kouachi et de Coulibaly, confirme: "L'hostilité induite par les politiques de redistribution renforce le repli sur des opinions qui redonnent un statut valorisant à tous ceux que l'on empêche de réaliser leur potentiel."

Patrick Simon dit dans sa contribution (voir partie 1/2): "On criminalise l'opinion fausse, lui donnant par là même une importance qu'elle n'avait pas." Gilles Dryancour abonde dans ce sens: "L'interdiction de certaines théories historiques, des plus marginales, donnent du grain à moudre à leurs adeptes qui voient dans cette interdiction la preuve même qu'ils sont détenteurs de quelque vérité cachée et ignorée de tous."

Philippe Nemo revient sur les délits d'opinions sanctionnés par les lois françaises de censure et, notamment, sur la discrimination.

Pour que celui qui s'exprime soit désormais condamné, "il suffira 1) qu'il opère intellectuellement une distinction entre diverses catégories de personnes, et 2) que le fait d'avoir opéré cette distinction puisse être interprété par certains comme étant de nature à nuire un jour, de quelque manière non précisée, à la catégorie concernée, du seul fait qu'il l'aura distinguée d'une autre". 

Cela revient à faire d'une simple idée un acte, alors qu'il n'y a aucun moyen de prouver qu'une idée émise aura tels ou tels effets sociaux et alors qu'il n'y a aucun moyen de prouver la responsabilité personnelle de celui qui l'a émise...

En fait, comme le dit Philippe Nemo, il s'agit pour le juge, saisi par une association reconnue par le pouvoir, de condamner un groupe de personnes, considérées collectivement comme méchantes en s'en prenant à un de ses représentants, quand bien même il serait innocent. Le juge doit en somme procéder selon "une logique de culpabilité collective et de bouc émissaire"...

"Pour que la responsabilité soit un concept utile, il faut interrompre la chaîne des causalités quelque part, et disposer pour cela d'un critère", écrit Henri Lepage. Ce critère, dans la tradition occidentale du droit, c'est la faute: "que celle-ci soit appréciée en fonction d'attributs objectifs comme "l'invasion de propriété" (l'emissio romain), ou qu'elle résulte d'une évaluation subjective des faits de nature jurisprudentielle". Toutes les causes antérieures sont dès lors effacées et invalidées.

S'il n'y a pas de faute, alors il n'y a pas de responsabilité individuelle, et c'est le législateur qui désigne le responsable et distribue le risque par décret... Or un décret peut en cacher un autre, d'où une instabilité juridique, une attribution du risque arbitraire (parce que soumise aux pressions politiques) et une source de discorde et de conflit.

Le principe de précaution, inscrit dans la Constitution française, s'inscrit dans cette perspective de dégradation fondamentale du droit, puisqu'il consacre le concept vicié de responsabilité collective (la responsabilité de l'humanité présente vis-à-vis des générations futures etc.). Or il n'existe pas de responsabilité collective, ni d'ailleurs de risque objectif:

"Ce qui existe, ce sont des espérances individuelles qui font que, ex ante, nous gérons nos actes en fonction d'anticipations de gains ou de pertes. Le risque n'apparaît qu'ex post lorsque nous essayons a posteriori de reconstituer les probabilités statistiques que nous avions de réaliser ou non nos espérances."

Pourtant le principe de précaution, devenu critère de responsabilité, conduit à sanctionner "en décidant a posteriori de ce que vous auriez dû faire (ou ne pas faire) en fonction d'un ensemble d'informations qui n'étaient pas disponibles au moment où vous aviez à prendre la décision".

Comment le juge pourra-t-il en décider? Il fera appel à la gente scientifique dont on sait depuis la nuit des temps, et plus récemment depuis l'invention de la religion climatique, que les arguments peuvent être sujets à contestations et révisions...

Le libre arbitre individuel sera nié. Car la prise de risque ne se fera plus en conscience mais en "application de règles et de critères imposés en fonction de l'idée qu'une opinion dominante - médiatisée par ses prêtres - se fera de ce à quoi correspond le savoir scientifique du moment".

Le plus beau dans cette affaire, si je puis dire, c'est le paradoxe qu'Henri Lepage observe: "Le mouvement de plus en plus accentué vers la responsabilité sans faute s'accompagne d'une exigence croissante de transparence, et donc de responsabilité - au sens classique du terme: des responsabilités individuelles (À qui est-ce la faute? À qui - et non à quoi - doit-on notre malheur? Qui rendre responsable?) - de la part de l'opinion publique."

La conséquence, puisqu'"on a sorti la morale universelle du droit", est de désigner des boucs émissaires pour répondre à cette exigence... et, ainsi, de faire droit à l'arbitraire.

Drieu Godefridi donne justement une définition de l'arbitraire en la matière: "Est arbitraire, en droit, ce qui procède d'une volonté souveraine, plutôt que des règles de droit." Il donne pour exemple la criminalisation de la violence psychologique, qui l'est à cinq titres:

- le concept de violence psychologique n'est pas défini de manière cohérente par le législateur

- il ne peut l'être davantage par le juge pénal

- il revient alors à l'expert-psychiatre de le faire

Mais il fera de manière arbitraire:

- parce que le dommage psychologique dépend de l'état psychologique préalable de la victime

- parce que la notion de violence psychologique est extensible et a pour conséquence une loterie pénale, dépendant du verdict psychiatrique

En réalité, la criminalisation de la violence psychologique, dont les hommes auraient le monopole de l'exercice contre les femmes, relève de la logique du genre, c'est-à-dire de la culture et non pas de l'anatomie: "Selon Butler, le concept culturel de sexe, qui cristallise la violence masculine, procède des tabous de l'inceste et de l'homosexualité. C'est en prohibant l'inceste et l'homosexualité que le lobby phallogocentrique et hétérosexualiste perpétue son implacable domination"...

Les législations française et espagnole, la Convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe s'inspirent de cette idéologie qu'est la théorie du genre pour faire de la violence psychologique un délit dont la matérialité est pourtant inexistante.

Ce genre, sans jeu de mots, d'incrimination pénale, vague et imprécise, se multiplie et englobe "tous et chacun des aspects de la vie de l'individu dans ses détails les plus intimes (silences, regards, etc.)"... N'est-ce pas le symptôme de sociétés dont les membres cherchent à s'exonérer de leur responsabilité face aux aléas de l'existence en la reportant sur le judiciaire, fût-ce au prix de leur liberté?

Francis Richard

Publication commune avec lesobservateurs.ch

Libéralisme et liberté d'expression, sous la direction d'Henri Lepage, 112 pages, Texquis

Episode précédent:

Libéralisme et liberté d'expression (1/2), sous la direction d'Henri Lepage


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