À chaque époque sa pente fatale – ou ses fastes pérennes. Ce qui peut s’exprimer autrement: dans le flottement généralisé des valeurs, des repères et des fondamentaux, dans le culte compensatoire de la vitesse, du nouveau pour le nouveau, de la société de consommation et de la gloire de l’émotionnel, un besoin resurgit, malgré tout. Celui du maître étalon, du fil d’Ariane, de l’idéalité régulatrice, du grave et du sérieux…
Dates. D’abord: la discussion tourne inévitablement autour de l’extrême droite, des peurs, du repli identitaire, de la xénophobie. Ensuite: les mots courent autour d’une idée simple, comment et pourquoi Normal Ier a-t-il dérivé à ce point à droite, au point d’accréditer l’idée cahoteuse et chaotique –en toute volonté consciente– que tout se tient, tout se vaut et que la doctrine libérale est l’unique matrice habilitée à diriger le monde nouveau enfanté dans et par la globalisation. Enfin, et heureusement enfin: les quelques lettrés réunis, instruits du mot «politique», puisent dans la transmission du rapport passé/présent et refusent, en bloc, l’idée même de «fin de l’histoire». L’un déclare sommairement, bien que, dans ce sommaire-là, il convienne d’y entendre une ampleur référencée qui tombe au bon moment: «Moi, ma culture tient dans une succession de dates: 1789, 1793, 1848, 1871, 1905, 1936, 1944, 1968, 1995…» Un autre reprend aussitôt: «J’ai toujours trouvé désarmant qu’on puisse avoir honte, en tant que Français, de la Révolution française, comme si le chaînage des générations de républicains ne venait pas de ces ancêtres moins imaginaires qu’on veut bien le dire.» Quelqu’un l’assure: «Cette honte a été diffusée au moment du bicentenaire – merci Mitterrand! –, avec l’appui de quelques historiens comme François Furet, qui énonçaient: “La Révolution française est à l’origine du totalitarisme”, alors qu’elle reste porteuse d’espoir, d’émancipation, de gains de liberté et d’égalité politique et sociale.» En quelques minutes, sans vrai préambule ni intention, nous atteignons des sommets d’engagement. Le premier reprend la parole: «Nous n’avons pas à être fiers ou benoîtement dévots vis-à-vis de 1789-1793, mais actifs, courageux, audacieux pour aujourd’hui même.» Un autre ajoute: « Nous traversons à l’évidence une séquence politique où les anti-Lumières dominent et s’avèrent rusés. Il nous faut rompre avec la nostalgie ou l’indifférence, mais puiser dans le réservoir des questions critiques ouvrant de nouvelles brèches envers le peuple. » Du petit lait… Les révolutions intéressent donc de nouveau, comme désir et presque irréversible puissance insurrectionnelle. Au moins chez certains de ceux qui se chargent des Lettres. Toujours bon à prendre, non?
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 8 janvier 2016.]