« L’esprit nouveau »
La vente aux enchères hier de la maison Poiret conçue en 1921 par l'architecte Robert Mallet-Stevens ponctue l'histoire tourmentée d'une réalisation architecturale hors du commun, née dans une époque où la création artistique engendre des bouleversements radicaux. Le néo-plasticisme de Mondrian et Van Doesburg pose les bases d'un renouveau radical. « L’esprit nouveau » promu également par Le Corbusier, avec notamment les propositions du Purisme souffle sur toute la création architecturale.
Maison Poiret Mallet-Stevens 1921/1923
En ce début des années vingt, le couturier Paul Poiret achète un vaste terrain à Mézy-sur-Seine dans les Yvelines pour y installer sa résidence principale, destinée à sa retraite future. L’architecte Mallet-Stevens, sollicité par le couturier, prend position face à son époque :
" Ce ne sont plus quelques moulures qui accrochent la lumière, c’est la façade entière. L’architecte sculpte un bloc énorme, la maison."
Sur huit cents mètres carrés habitables, le projet de la villa Paul Poiret s’apparente à une composition géométrique, un tableau cubiste, synthèse formelle des tendances modernes de son époque. Un vaste hall, passage obligé au centre de la maison, éclairé par deux grandes baies vitrées offre un panorama imprenable sur les méandres de la Seine et, par beau temps, la tour Eiffel, le mont Valérien. Le chantier ouvert en 1922 se voit forcé de s'arrêter en juin 1923, alors que seul le gros œuvre sort de terre. Le couturier rencontre des difficultés financières. Provisoirement, il habite la maison du gardien en attendant des jours meilleurs pour achever les travaux.
« Petites télégraphistes sous-alimentées »
Mais Paul Poiret voit monter l’étoile de Coco Chanel avec ses créations soigneusement étudiées, ses tenues pratiques, une concurrente qu’il accuse de transformer les femmes en « petites télégraphistes sous-alimentées ». Robert Mallet-Stevens devra attendre encore. Hélas, la maison du couturier fera faillite quelques années plus tard, et Poiret n’habitera jamais sa maison rêvée.
La comédienne Elvire Popesco la rachète en 1933, fait terminer l’ouvrage par l’architecte Paul Boyer et y vit jusqu’en 1985. Plusieurs propriétaires se succèdent au mépris du respect de l’édifice. La piscine située au sous-sol est bétonnée…Aucune réhabilitation importante n'est effectuée. L’ancien maire de Mézy-sur-Seine, Dominique Barré, se mobilise pour protéger la villa Poiret, désormais inscrite au titre des Monuments historiques depuis 1984.
Une fondation ?
Hier, c’est une société spécialisée dans l’immobilier, la G2AM, qui a emporté la mise : son président, Gilbert Wahnich, s’est porté acquéreur de la villa Poiret pour un montant de deux millions d'euros ainsi que du parc et du bois. Après l'aventure turbulente de cette construction exemplaire, emblématique d'une époque où la remise à plat des conceptions artistiques est totale, l'avenir de la villa Poiret reste à définir. Le nouvel acheteur pourrait envisager de destiner ce cadre exceptionnel à une fondation mais cet objectif encore mal défini peut dépendre des contraintes du lieu notamment des conditions de protection du bâtiment.
Le rêve fou d'un commanditaire et d'un architecte révolutionnaire pour cette réalisation qui n'a pas vieilli dans sa conception s'est donc trouvé entraîné dans une descente inexorable au gré des aléas financier et des ventes successives. Le classement possible du bâtiment, envisagé aujourd'hui, interviendrait au terme de cette chute incoercible. La Villa Poiret, près d'un siècle après la création révolutionnaire de Mallet-Stevens, témoigne d'une modernité saisissante rappelant l'époque où "l'esprit nouveau" déferlait sur une Europe décidée, après la grande guerre, à refonder le monde.
Photo: Wikipédia