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Antoine Bello fait un joli petit cadeau à ses lecteurs en ces premiers jours de l'année: il donne accès gratuitement à un texte, Légendes, qui aurait dû trouver place dans Les falsificateurs, premier volume d'une envoûtante trilogie, si le manuscrit n'avait pas été si épais. Trop épais. Il en en donc détaché ces pages (et celles de L'Actualité, disponible au format électronique) qui, en effet, se suffisent à elle-même et font une nouvelle inquiétante.
Nigel, un agent qui travaille aux archives, poste guère exaltant même si les archives peuvent être à la base de belles falsifications, est invité à une nouvelle tâche: reconstituer un stock de légendes, des vies imaginaires dans lesquelles les services secrets britanniques puisent au besoin, quand un personnage créé de toutes pièces doit jouer un rôle dans un montage complexe, voire être incarné. Une légende est supposée avoir un passé solide, et son présent mérite de ne pas être complètement inexistant - sinon les Russes, qui dans ce cas de figure restent le premier adversaire, ne tarderont pas à déceler le vide sous la coquille...
Nigel se charge de réactiver trois légendes, deux hommes et une femme. Il prend son rôle à cœur, trop à cœur comme en témoignent les dépassements de budget dont il se rend coupable - pour la bonne cause, cela va sans dire. Il y a pire que les dépassements de budget: il s'investit dans l'existence supposée des trois personnages, il en vient à oublier qu'ils ne sont pas réels.
On retrouve là quelques-uns des thèmes qui nourrissent la trilogie déjà citée - et sur laquelle je vous conseille de vous précipiter si vous ne l'avez pas lue: Les falsificateurs, donc, puis Les éclaireurs et, pour finir, Les producteurs. Ce sont des légendes exponentielles, elles nous donnent à voir le monde avec des yeux neufs. D'une certaine manière, à l'origine, il a bien fallu qu'un homme comme Nigel - ou comme Antoine Bello - passe du temps et déploie de l'énergie pour créer des personnages fictifs qui trouveraient leur place au sein du réel.