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d'après Maupassant (N°30)

Publié le 06 janvier 2016 par Dubruel

D'après LE VOLEUR (21 juin 1882)

Ce soir-là, chez Claude Servat, après le diner, nous restâmes seulement trois : Le Poittevin, notre hôte et moi. Nous étions gris. Étendus sur le tapis, nous discourions de tout et de rien quand soudain, Servat entendit un bruit anormal dans la pièce voisine.

Il se leva et dit : -" C'est sûrement un voleur. "

Il décrocha de sa collection une tenue de hussard et s'en revêtit. Il contraignit Le Poittevin à se costumer en grenadier et, me demanda de me déguiser en cuirassier. Puis, il entonna : 'Aux armes citoyens !' et nous équipa : un sabre pour moi, un pistolet à Le Poittevin et Servat se saisit d'un mousquet.

Il ouvrit la porte de communication entre les deux pièces. Notre armée entra sur le territoire.

-" Tenons un conseil de guerre ! ", dit Servat qui se nomma général et ordonna :

-" Toi, les cuirassiers, tu vas couper la retraite à ce bandit. Toi, le grenadier, tu seras mon ordonnance. "

Le gros des troupes opéra une reconnaissance. Servat regarda sous le lit. Moi, j'ouvris l'armoire et reculai stupéfait : un homme me dévisageait. Je refermai aussitôt les deux battants et les verrouillai à double tour de clé.

L'on tint conseil de nouveau : Servat voulait tenir le voleur enfermé. Le Poittevin parlait de l'affamer. Je proposai de l'embrocher.

-" Je voudrais le voir. " demanda Servat. On ouvrit l'armoire. Apparut un homme aux cheveux gris, très maigre, très grand, crasseux et déguenillé. Nous lui avons lié les mains, les pieds et l'avons assis sur une chaise. Servat, tout pénétré d'ivresse, se tourna vers nous :

-" Nous allons le juger, voulez-vous ? " Le Poittevin présentait la défense. Moi, je soutenais l'accusation. L'homme fut condamné à mort à l'unanimité. Nous allions l'exécuter quand un scrupule se fit jour : On ne meurt pas sans les secours de la religion. Il fallait trouver un prêtre. J'objectais : -" Il est deux heures du matin. Les curés dorment à cette heure-ci "

-" Alors qu'il se confesse à Le Poittevin ! ", s'exclama Servat. Le voleur roulait des yeux épouvantés et déclara : -" Vous plaisantez ! "

De force, Servat l'agenouilla. Simulant un baptême, il lui versa une giclée de sainte anisette sur le front tout en formulant ces mots : -" Maintenant, avoues tes péchés ! "

Le vieux gredin soufflait, suait, trépignait. Servat nous demanda alors : -" Avons-nous vraiment le droit de tuer ce bandit ? Il me semble qu'on ne fusille pas les civils. "

-" Alors, conduisons-le au poste de police du quartier." Mais au commissariat, nos farces étaient bien connues. L'inspecteur refusa de garder le détenu.

Rentrés à la garnison, on dénoua les liens du bandit qui nous demanda d'un ton sentencieux :

-" Pardonnez-moi, mais ne serait-il pas judicieux, à cette heure matinale, de me laisser rentrer chez moi ? Sachez néanmoins que c'est à regret que je quitterai votre aimable compagnie. "

Nous nous sentîmes frustrés mais nous lui avons serré la main et dans un ultime geste d'humanité, je le prévins : -" Méfiez-vous : sous la porte cochère, le pavé est glissant ! "


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