(anthologie permanente) Forough Farrokhzad, par Jean-René Lassalle

Par Florence Trocmé

La poète Forough Farrokhzad (1934-1967) fut la première femme marquante de la littérature iranienne. Son lyrisme moderne dans une société répressive contient parfois des échos de la grande poésie classique persane (Omar Khayam, Roumi, Hafiz). Les poètes iraniennes actuelles (celles publiées dans le livre Zabouré Zane, Atelier de l’Agneau 2014) ont sans doute lu Forough Farrokhzad, et même si elles s’expriment par les blogs et rénovent le ghazal sur un ton de slam, les difficultés qu’elles rencontrent sont similaires, ainsi qu’en témoigne la condamnation de la poète Fatemeh Ekhtesari. Forough Farrokhzad continue à influencer les créateurs iraniens. La photographe Shirin Neshat a inséré « Je reviendrai saluer le soleil » dans un de ses livres et l’avocate progressiste Nasrin Sotoudeh a calligraphié ce titre sur son foulard après sa sortie de prison. Le cinéaste Abbas Kiarostami accorde une place centrale au poème « Le vent nous emportera » dans son film du même nom. Un livre en français de Forough Farrokhzad avec l’original persan s’ajoute aux volumes de Arfuyen et de Lettres Persanes : Seule la voix demeure, chez L’Oreille du Loup.
Forough Farrokhzad dans Poezibao :
Bio-bibliographie
Extrait 1

Ecouter la voix de Forough Farrokhzad en persan, récitant “Une autre naissance” avec photos et traduction anglaise
Article avec liens sur la poète iranienne actuelle Fatemeh Ekhtesari et sur sa condamnation par le régime iranien

Captivité

C’est vers toi que je tends tout en comprenant
jamais je ne t’enlacerai à satisfaire mon cœur
car tu es le ciel brillant et sans nuage
et je suis un oiseau captif dans la cage.
Derrière les ternes barreaux de fer froid
étonnée mélancolique j’observe ton visage,
dans une rêverie survient une main magique
libérant l’oiseau qui s’élève vers toi.
Échappant en rêve à la volière
dans l’instant feutré de l’inattention
je ris sur le gardien et m’engage
vers une vie de clarté en ta compagnie.
Mais ceci n’est que songe, je sais que le bonheur
de quitter cette cage je n’en ai la force,
même si le veilleur me laissait fuir
mon souffle est trop court pour survoler la terre.
Au-delà de la grille l’œil gai
d’un enfant me sourit au matin lumineux
et ses lèvres chaque fois miment un baiser
quand j’intone mes trilles limpides.
Si un jour je parvenais à étendre les ailes
m’évader de cette suffocante ténèbre
que dire, ô ciel, à l’enfant attristé ?
« oublie l’oiseau car il est parti vivre ».
Je suis la chandelle dans la sombre ruine
que j’illumine par la flamme en mon sein
et si je choisissais de m’éteindre
j’emplirais de cendres la demeure.
Extrait de : Forough Farrokhzad : Asir, 1952. Traduit du persan par Jean-René Lassalle en croisant les traductions anglaise et allemande avec l’original farsi.
  
Asīr
Turā mēxwāham o dānam ki hargiz
Ba kām-i dil dar āghōšat nagīram
Toī ān āsmān-i sāf o rawšan
Man īn kunj-i qafas, murghē asīram
Zi pušt-i mīlahā-i sard o tīra
Nigāh-i hasratam hayrān barōyat
Dar īn fikram ki dastē pēš āyad
Ba man nāgah gušāyam par basōyat
Dar īn fikram ki dar yak lahza ghaflat
Az īn zindān-i xāmuš par bigīram.
Ba čašm-i mard-i zindānbān bixandam.
Kanārat zindagī az sar bigīram
Dar īn fikram man o dānam, ki hargiz
Marā yārā-i raftan zīn qafas nēst.
Agar ham mard-i zindānbān bixwāhad
Digar az bahr-i parwāzam nafas nēst
Zi pušt-i mīlahā har subh-i rawšan
Nigāh-i kōdakē xandad barōyam
Ču man sar mēkunam āwāz-i šādī
Labaš bā bōsa mēāyad basōyam
Agar, ay āsmān, xwāham ki yak rōz
Az īn zindān-i xāmuš par bigīram.
Ba čašm-i kōdak-i giryān či gōyam
Zi man bigzar, ki man murghē asīram.
Man ān šam'am ki bā sōz-i dil-i xwēš
Furōzān mēkunam wērānaērā
Agar xwāham ki xāmōšī guzīnam
Parēšān mēkunam kāšānaērā
Extrait de : Forough Farrokhzad : Asir, 1952
(transcription phonétique) ; version originale ici
Je reviendrai saluer le soleil

Je recommencerai à accueillir le soleil
et ce flux qui ruisselait en moi,
les nuages de mes pensées déployées,
la douloureuse croissance des peupliers du verger
qui m’accompagnèrent au travers des saisons sèches ;
je saluerai le vol de corneilles
qui m’apporta le parfum nocturne des champs
et ma mère qui habitait le miroir
révélant une image de mon vieillissement ;
j’accueillerai la terre qui dans son désir de me recréer
gonfle son ventre en feu de vertes semences.
Je viendrai, j’émergerai
avec mes cheveux charriant leurs senteurs sédimentaires
avec mes yeux qui ont capté la noirceur souterraine,
j’apparaîtrai avec un bouquet assemblé dans les broussailles
de l’au delà du mur ;
je recommencerai, renaîtrai,
l’entrée resplendira d’un amour
partagé par ceux que j’accueillerai comme
la jeune fille debout dans le seuil éblouissant.
Extrait de : Forough Farrokhzad : Tavallodi degar, 1963. Traduit du persan par Jean-René Lassalle en croisant les traductions anglaise et allemande avec l’original farsi. Version originale ici
Dossier préparé et traduit par Jean-René Lassalle.