Un livre de bande dessinée qui épouse le prisme éclaté de nos écrans ouverts et déshabille les pratiques internautes débridées. Histoire d’amour et de rencontres, La vraie vie est un roman graphique qui révèle avec acuité et sagacité la place accordée désormais à Internet dans notre mode de vie.
Le pitch : Jean, la trentaine heureuse, est employé municipal en province. Célibataire, il mène une vie paisible le jour, et passe ses nuits sur Internet. Il aime dialoguer avec des inconnus aux pseudonymes extravagants, télécharger des films pornographiques, écouter de la musique, jouer à des jeux en ligne d’une grande violence où le massacre est de mise. Sa vie en ville se confond à sa vie d’internaute, les échanges nocturnes avec Timfusa qui semble vivre dans le Wyoming sont aussi nécessaires que de tomber amoureux de Carine au fil des jours. Jusqu’à ce que Jean soit rattrapé par la réalité de la vie qui passe, et de la maladie qui l’emportera.
Thomas Cadène nous montre une fois de plus qu’il est LE spécialiste en matière de bande dessinée numérique. Après l’énorme projet éditorial publié sur internet, « Les Autres Gens », auquel plus de 150 dessinateurs ont participé, il s’attaque maintenant au web en tant que contenu. Le titre de l’album est fort bien trouvé pour une telle intrigue, en effet, sur Internet, l’expression "vraie vie" renvoie à la vie menée dans le vrai monde. Également, le sigle "IRL" signifie "in real life " ("dans la vraie vie "), c’est-à-dire "pas dans l’Internet".
Au niveau du scénario, la distinction entre le monde en ligne et le monde réel est infime. Ces deux vies se mélangent dans une course contre le temps, de façon désordonnée par la multiplicité d’information. J’ai eu souvent l’impression d’avoir trop d’informations et d’être obligé de faire le tri, ce qui accentue le fait que l’intrigue est axée autour de la génération Y. La génération Y regroupe des personnes nées approximativement entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990, l’origine de ce nom vient du "Y" que trace le fil du baladeur. C’est la génération du zapping où tout doit aller plus vite, les valeurs sont différentes, l’Internet, la télévision et les réseaux sociaux détiennent pour eux la vérité, au détriment de la "vraie vie"… J’ai été complètement happé par ce récit, qui se lit d’une traite, et je suis persuadé de le relire d’une manière différente à chaque fois au vu de la quantité d’informations, et des différents messages que le scénariste nous livre.
Graphiquement, Grégory Mardon livre un travail impeccable. Le trait est proche de celui qu’on lui connaît, notamment de l’album « L’Échappée », paru également chez Futuropolis. Son dessin aide le récit à gagner en vitesse, le regard "zappe" d’une image à une autre, d’une case à une autre. L’utilisation de la couleur est également à souligner, qui sert l’accumulation d’informations, en bref un zéro faute !
« La Vraie Vie » est une très bonne surprise en ce début d’année, un récit qui amène à réfléchir, du tout bon…