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Une semaine ordinaire en 2015

Publié le 06 janvier 2016 par Antoine Dubuquoy

L'année avait commencé dans une normalité absolue, une fois digérés saumon et foie gras, le tout arrosé de quelques bulles. La semaine avait commencé, tranquille, par l'un de ces petits matins de janvier, froids, humides et moches. Janvier, quoi. Les sapins déplumés sur les trottoirs. La reprise, les voeux, les Bonnannéemachinetsurtoutlasanté... Le scooter filait dans les rues de Paname. Sols luisants, petits matins. Réouverture des emails, reprise des activités, business as usual. Une semaine de janvier déjà brutalisée par quelque mauvaise nouvelle. Business not as usual, quand même. 

Plongée dans le flux de tweets à la recherche de choses futiles, et des mots en vrac, Charlie, fusillade, morts. Des chiffres qui tombent. On n'y croit pas. Depuis quand doit-on croire tout ce qui se murmure, se gazouille, se colporte, circule, buzze sur les  Internets? Le bruit devient info. Gravé dans le marbre. Sûr, vérifié, glaçant, implacable. La grosse baffe, le coup de matraque, l'impact dans le plexus qui coupe le souffle. Sans image. Irréel.

Le temps se suspends, s'étire. Le monde est flou. Juste strié de mauvaises fulgurances, de ces dépêches qui tombent. Faits avérés. 

Je me souviens avoir conférencé cet après-midi là. Parlé d'un leader, d'un gourou, d'un presque Dieu, Steve Jobs. D'avoir tenté d'intéresser un auditoire absent, alors que tombaient dans les fils d'info des noms familiers, des noms qui évoquaient l'adolescence, le fun, la légèreté, le rire... Des noms qu'il devenait impossible de prononcer sans que la voix ne se brise. Fin de conférence en roue libre devant public en roue libre. Les esprits ailleurs, absents.

La télé calée sur les chaînes d'info en continu, qui mettent en images les mots lus et relus depuis la fin de la matinée. Il fait nuit, il fait froid, l'hiver est encore plus moche que d'habitude. Assis, sidéré, tétanisé. Hypnotisé par les images. 

Sale nuit.

Sale semaine qui se poursuit, dans un petit coin de campagne à 100 kilomètres de Paris. Une église. Le froid. La boue. La flotte. L'adieu à un ami. Rien à voir avec Charlie, juste les circonstances. La nuit tombe vite, la route vers la capitale est encombrée. France Info parle de traque. Il flotte toujours. Nuit. Re-nuit. On se met au chaud, on rallume la télé, mauvaise idée. On tourne en rond. On ressasse. On flippe.  On repense aux sirènes sur le périph, on tweete, on est en vrac. 

Le jour finit par se lever. Toujours cette sensation étrange d'être en apnée. Les news tombent. Les première images. Des plans fixes, interminables. Du non-cinéma. Un mauvais film d'art et essai. Et les assauts, filmés au zoom, de très loin. On est hypnotisés une fois de plus, un oeil sur l'écran du mobile, l'autre sur celui de la télé. Clap de fin. 

Fin de semaine, dimanche ensoleillé. 2 heures pour faire 400 m à pieds, pour tenter de rejoindre République. Métros blindés. Traversée de Paris à pieds au retour, avec pote de 30 ans. Dernières photos. 

On laisse du temps au temps. On laisse la mémoire s'éroder tranquillement. 

Jusqu'à cette fin de semaine de novembre. Novembre, autre mois moche, gris, humide et froid.


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