Les écrivains reçoivent parfois des lettres de lecteurs. Ou
de lectrices. C’est le cas pour Eric Reinhardt, comme d’autres. C’est le cas
aussi pour le narrateur de son dernier roman, L’amour et les forêts. Il s’appelle Eric Reinhardt. Il a publié en
2007 le livre dont il est le plus fier, puis en 2011 un roman dont il a « la vague et désagréable impression
qu’il n’est pas parvenu à se hisser au niveau du précédent ». Eric
Reinhardt personnage a tout d’Eric Reinhardt auteur de L’amour et les forêts, grâce à des coïncidences avec sa
bibliographie : Cendrillon en
2007, Le système Victoria en 2011.
Ceci dit, on se moque bien de savoir si une femme qui
s’appelait, ou non, Bénédicte Ombredanne lui a écrit après avoir lu Cendrillon. Il suffit que, dans L’amour et les forêts, elle lui envoie
une lettre en 2007, après avoir lu le livre qu’il vient de publier. Le
narrateur la rencontre une première fois, une deuxième, plus tard, une
correspondance s’engage, puis le silence. Soudain. Définitif. On comprendra, au
fil du récit, pourquoi il ne pouvait en être autrement.
Bénédicte Ombredanne est une femme fine et intelligente, la
qualité de sa première lettre a convaincu l’écrivain d’accepter une rencontre.
Il est vrai qu’elle y disait aussi sa colère d’avoir été écartée d’un jury
littéraire dans lequel elle espérait orienter les débats en faveur du roman
qu’elle venait de lire, de quoi chatouiller l’orgueil de son auteur :
enfin quelqu’un qui me comprend !
Au-delà de l’excellente impression laissée par ce premier
contact, Eric trouve en Bénédicte une personne complexe. Sa situation ne l’est
pas moins. Mariée à un homme qui, sous couvert de manque de confiance en lui,
s’est révélé un véritable tyran domestique, elle est prisonnière de son couple.
Et cherche à s’en évader, ce qui lui arrivera au moins une fois pour une
journée de pur bonheur grâce à une rencontre miraculeuse comme les sites
spécialisés sur Internet n’en provoquent guère.
Bénédicte est une femme blessée qui ne cicatrise pas. Parce
que son mari ne cesse de retourner le couteau dans la plaie, la harcelant pour
tout savoir de ce qu’elle aurait voulu taire, lui interdisant les contacts les
plus innocents – avec Eric, par exemple. Le portrait de ce personnage empli de
douleur broie le cœur, tant il fait ressentir, au plus profond, le déchirement
de son impuissance à être celle qu’elle aurait voulu devenir.
Madame Bovary, a-t-on beaucoup dit. La
comparaison se justifie, à condition d’envisager une Madame Bovary
d’aujourd’hui, soumise à des contraintes nouvelles. Mais tout aussi
malheureuse. Et prête à tout pour vivre intensément, ne serait-ce qu’une fois,
la belle aventure romantique du tir à l’arc dans la forêt.