Pourquoi Rachel rising possède toutes les qualités d'un très bon récit d'horreur ?

Publié le 03 janvier 2016 par Hectorvadair @hectorvadair

Titre : Rachel rising, in : recueils 1 à 4

Auteur : Terry Moore

Editeur :
Abstract studios/Delcourt

Date : 2014-2015

Attention : cet article contient des révélations pour qui n'aurait pas lu les quatre premiers tomes de la série !!
Terry Moore a réussi à passer d'un récit social (Stranger than paradise) à de la science fiction, (Echo) puis mêler social et horreur dans son dernier projet en cours.
Lors de la découverte de Rachel Rising et de ce pitch fort décrivant une femme sortant de terre, on avait déjà remarqué le subtil dosage entre qualités scénaristique et graphique. Mais la réussite et surtout la constance de ce dosage mérite que l'on s'y attarde.
Une horreur charnelle
Dès les premières cases, l'auteur nous montre un corps, celui de Rachel, jeune femme blonde qui s'extirpe tant bien que mal de la gangue terreuse dans laquelle elle semble avoir été  enterrée vivante. Ses cheveux Sont défaits et sales. Elle a avalé de la terre et ses vêtements sont déchirés.

Mais au fur et à mesure qu'on la suit dans le récit, on s'apperçoit qu'elle porte d'autres marques, d'autres blessures, plus terribles que de simples salissures, et auxquelles elle ne pourrait normalement pas survivre.
Un trou la traversant de part en part dans le corps par exemple, par lequel on voit à travers. Le corps est donc utilisé comme élément horrifique. Et elle n'est pas la seule qui subira ce genre d'outrage. Électrocution, emboutissages....rappellent à cet égard certaines thématiques zombies. Mais ce n'est pas tout. Car si trois puis quatre personnages (Jet son amie brune, puis Zoé, petite fille de dix ans, et Lilith, au coeur du chaos...) pourront se remettre de ces agressions mortelles, ...d'autres personnages secondaires n'en réchapperont pas.
A ce propos, on notera le clin d'oeil sympathique fait à Jack l'éventreur dans cet épisode, avec l'utilisation d'un long couteau nommé "jack" et d'une scène d'éventration qui rappelera j'en suis sûr aux lecteurs avertis, le superbe From hell d' Alan Moore et Eddie Campbell. (Ci à droite)


La question de la mort et de la résurrection
A plusieurs reprises au fil des tomes, il est question de réparation de corps : ceux-ci meurtris, sont allongés à la morgue, et tous se retrouvent auprès de Earl, le gros ami médecin légiste, amoureux de Jet.
…Il est difficile d'admettre la mort d'un être qu'on aime. Ni voir son corps inerte, parfois abîmé, saccagé.
Mais comment admettre que celui- ci puisse aussi revenir ?  Les situations improbables du récit nous posent des questions existentielles. (Et sont bien dans l'air du temps, comme la série française actuelle les revenants, adaptée du film éponyme de Robin Campillo de 2004).
Dans le tome 4, tante Johnny, la tante de Rachel, fait partie des victimes collatérales de l'empoisonnement de l’eau mis en place par Lilith. Rachel n'ayant qu'elle comme famille, elle va faire appel à l'étrange docteur Siemen pour tenter de la faire revenir. On va donc procéder à un nettoyage complet du corps...tandis que l'esprit a été momentanément transféré dans le corps du chien familial.
Un épisode étrange et glauque qui rappellera celui de "Dead she said", par Steve Niles et Bernie Wrightson, déjà vu ici.
L'identité (homme femme), le sentiment amoureux et la relativité de la beauté
Jet se retrouve au moins à deux reprises à la morgue. La première fois, électrocutée, et donc normalement cliniquement morte, elle semble apprécier cependant le soutien que lui apporte Earl. Très doux avec elle, il lui avoue son amour, même si celui-ci est à sens à sens unique. Mais comment en pourrait-il être autrement ? La seule personne qui semble en effet pouvoir lui apporter la chaleur dont elle a besoin est un gros bonhomme chauve.
La deuxième fois, ayant subit un empoisonnement, elle se réveille avec son esprit d'origine, celui d'un garçon de 15 ans du XVIIeme siècle. Là où l'on avait un simple rapport de jeune fille à homme d'âge mur et pas très ragoutant, on passe à une situation beaucoup plus pernicieuse ...Comment les relations entre elle/ lui et Earl vont elles évoluer ?

Terry Moore est un homme. Il nous a cependant déjà beaucoup habitué aux relations sociales/amoureuses entre femmes. Stranger than paradise était basé sur des relations lesbiennes, et cette dernière série évoque des relations en deux copines : Rachel et Jet, la blonde et la brune. Même si c'est davantage du coté de sa tante Johnny que l'aspect homosexualité est évoqué.
Mais lorsque l'on apprend que Jet est en fait un homme (un jeune garçon), et Rachel une fille de huit ans, tous deux amoureux du XVIIeme siècle, transposés dans des corps de jeunes adultes contemporains, tout est remis en question. Les pistes sont à nouveau brouillées.

Rachel elle aussi se retrouve à plusieurs reprises mortellement blessée, pour ne pas dire agressée physiquement. Elle arbore en premier lieu une méchante cicatrice au cou, trace de sa pendaison très ancienne, puis montre à quelques reprises le trou qui la perfore de part en part, suite à son éventration par une perche. Et bien que ses yeux soient injectés de sang.. elle reste très désirable. Comme quoi la beauté est bien relative... Mais il a déjé été question au cinéma et dans des séries de ce paradoxe autour de la beauté, et les histoires de vampires ne sont pas les plus avares à ce sujet.

Là où certains récits et films des années quatre vingt montraient la vraie horreur telle qu'on l'entendait dans le passé (Poltergeist, l'Exorciste, Le fantôme de Milburn...ou même les sorcières vues dans Hellboy...), Twilight (Stéphanie Meyer), ou le Journal d'un vampire (Lisa Jane Smith), et avant eux Entretien avec un vampire (Anne Rice) nous ont appris à voir la monstruosité avec un autre oeil. Et si le roman d'Anne Rice mettait en avant de beaux garçons, Journal d'un vampire avait déjà harponné les jeunes mâles avec de bien belles demoiselles, vampires ou sorcières, non dénuées de beauté. Il faut dire que ces séries destinées aux adolescents ont eu du succès et qu'on peut difficilement aujourd'hui ne pas faire avec un argument vendeur comme celui-ci, surtout lorsque l'on maîtrise aussi bien le dessin noir et blanc.  Néanmoins, quelques animaux seront utilisés pour montrer la cruauté crue lorsque cela sera nécessaire (Serpent, ou chiens...), même si tous les mammifères, ormis le serpent, ne seront pas vraiment démoniaques, bien au contraire.
La sorcellerie à travers les âges et le lien avec Satan
« Rachel Rising » pourrait se traduire par « la levée de Rachel », si l'on fait allusion au fait qu'elle renait et sort de terre, tel Lazard ressuscité. Mais le paradoxe est que c'est Lilith, suppôt de Satan, sorcière vengeresse, qui se lève et essaie au contraire de rabaisser et enterrer toutes celles et ceux qui se mettent sur son chemin.
Rachel rising serait alors plutôt « le soulèvement de Rachel », dans le sens où cette ancienne demoiselle aux pouvoirs étonnant, dont on apprend dans le tome 4 qu'elle à été choisie par Lilith pour rejoindre une sorte de confrérie de sorcières, au XVIIe siècle, ne veut pas suivre la voie de sa maitresse. Car si elle a survécue au temps en choisissant par faiblesse, à un moment donné, l'immortalité, elle a quand même été exécutée sauvagement avec toutes les autres femmes accusées comme elle par la vindicte populaire, et a tout perdu*
Sa malédiction est donc proche d'être levée, car Lilith n'est pas à l'abri de la vengeance de toutes ces âmes trahies.
> Sorcières peut-être, mais pas inhumaines.
C'est un peu le message de ce conte, dont les superbes planches noir et blanc au trait diffusent presque en continue des symboles de révoltes naturelles, telles des tableaux à la poésie imposante : que ce soit des feuilles mortes voletant dans la forêt régénératrice des premières pages, des nuées d'oiseaux, ou une tempête de neige épaisse, enveloppant toute la ville de Manson dans l’épisode 4.
Terry Moore, tel la neige, nous enveloppe de ses flocons doux, avec un trait de toute beauté, et nous frigorifie en même temps, avec une histoire glaçante comme un couteau effilé, mais dont le message poétique traverse les siècles.
Jusqu'à quel niveau va t'il continuer à élever son oeuvre ?

(*) Manson est en fait une rue de Salem dans la réalité. Ville célèbre pour le procès qui s'y déroula en 1692, et qui vit l'éxécution de 25 personnes, dont 14 femmes, la plupart pendues. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Sorci%C3%A8res_de_Salem#Ex.C3.A9cut.C3.A9s)

 © Toutes images : Terry Moore/Delcourt