Arrêtons-nous pour regarder comment procède un bon joueur de go (qu'est-ce que le go ?).
Comme le damier est composé de 19 lignes et 19 colonnes, soit donc 361 intersections, et que chaque joueur a 180 pions, le nombre de combinaisons théoriquement possibles est considérable. L'incertitude est donc forte et cela fait bien sur du plaisir du jeu.
Que fait donc ce joueur ? Est-ce qu'il focalise son énergie sur le calcul de probabilités ? Essaie-t-il de limiter cette incertitude ? Cherche-t-il à modéliser les futurs possibles ?
Non. Il se focalise sur ce qu'il peut faire, sur les pions qu'il pose. Il a en tête un dessin qu'il va chercher à mettre en œuvre : ce dessin est une perspective qui oriente ses choix, mais ne constitue pas une forme précise ; viser ce dessin est son dessein. Pion après pion, il est préoccupé par ses degrés de liberté : il cherche à construire un ensemble le plus solide possible et le plus « résistant » à toute attaque.
Il ne se préoccupe pas vraiment de ce que fait son adversaire, ou, du moins, pas tant que cela ne vient pas interférer dans son propre dessein.
Souvent il ne gagnera que par l'effet et la puissance de la forme qu'il a dessinée.
Pourquoi ne pas faire de même en entreprise ? Pourquoi s'épuiser à vouloir prévoir l'évolution de son marché ? Pourquoi construire des tableaux excel avec de multiples « macro » (ces fameuses règles de calcul « automatiques » qui vont tout actualiser et tout relier), et, à partir de la situation actuelle, itérer pour produire un futur théorique et représentatif uniquement des hypothèses mises ?
Comment imaginer que l'on pourra obtenir une prévision fiable avec un damier est infini, un nombre de dimensions bien supérieur à 2, des acteurs fluctuants ? Prévoir le temps est un jeu d'enfants à côté !
Pourquoi ne pas se centrer sur ce que l'on veut faire – son dessein – et sur ce que l'on peut faire ? Pourquoi ne pas chercher « simplement » à se rapprocher de son objectif tout en renforçant la solidité de son entreprise face aux aléas, sa résilience ?
Et s'il faut fournir une prévision pour son marché – le monde financier vit encore dans l'illusion des prévisions –, ne pas y passer trop de temps…