L'année se termine en beauté !

Par Eric Bernardin

La formule ayant fait ses preuves les années précédentes, j'ai passé mon réveillon avec quelques membres du club de Saint-Yrieix. Je prépare le repas et amène les bouteilles, et on divise le coût total par le nombre de participants. C'est nettement moins onéreux que le restaurant, et c'est tout de même plus sympa et convivial d'être "chez soi".  Cela permet de rire aux éclats sans déranger les tables voisines (et ça a bien rigolé hier soir).

Claudine, notre hôte, m'avait dit qu'elle préparait des toasts au beurre truffé. J'avais imaginé qu'un vieux Chablis se marierait bien avec. Et quand je sors du vieux, je ne fais pas dans la demi-mesure : c'était un Chablis 1959 de Dufouleur Frères. La robe évoquait l'or rose. Le nez était à la fois aérien et capiteux, sur le sous-bois automnal, la noisette grillée, les épices orientales, la rose fanée avec une  touche de rancio. La bouche était au diapason du nez, avec d'un côté une fraîcheur presque cristalline, de l'autre une rondeur rassurante, chaleureuse. Bref, un vin de contraste qu'il était temps de boire, mais loin d'avoir rendu son dernier souffle. L'accord avec la truffe fonctionnait bien : il a permis à l'un des invités d'apprécier le vin. Bu seul, il n'était pas vraiment convaincu. Mais accompagné, il prenait tout son sens. Un peu comme le vin jaune avec le comté.

Pour compléter l'apéro, j'avais préparé des feuilletés avec du comté... et de l'oignon frit. J'ai fait avec les moyens du bord : c'est le seul ingrédient que j'avais trouvé dans la cuisine de Claudine qui me paraissait utilisable. Non seulement ça s'est avéré très bon, mais ça se mariait  impec avec le Chablis. Comme quoi, le système D permet de belles découvertes ;-)

Christian avait amené quelques fines de claire. J'ai donc choisi un Muscadet Clos les Montys 2009

Issu de vignes aujourd'hui plus que centenaires, il a de la densité sans être lourd. De la fraîcheur sans acidité saillante, tonifiée par un très léger perlant, avec une finale qui se prolonge sur de belles notes salines. Avec les huîtres, que du bonheur !

En entrée froide, j'avais préparé une pressée de foie gras et lièvre confit. Le foie gras, aromatisé à la morille, au cèpe, au poivre de penja fumé (et une pointe de Lapsang Souchong a cuit à 45 ° durant 20 mn (sous-vide). Les cuisses de lièvre ont été confites deux heures à 70 °C dans de la graisse d'oie (avec du cèpe et de la morille séchés). Le tout a été assemblé, avec ici et là de la noisette grillée qui apporte du croquant.

J'avais choisi pour l'accompagner un Champagne Blanc de Noirs de Benoît Lahaye (100 % Pinot noir de Bouzy, 24 mois sur lattes, dégorgé en 2012). La robe légèrement rosée a séduit les convives. Mais la bouche dense et vineuse, aux bulles fines et rafraîchissantes, les a carrément enthousiasmés. L'accord avec la pressée était superbe, avec le vineux qui répondait à l'animalité du lièvre et l'effervescence qui contrastait avec l'onctuosité du foie gras. Très beau moment de gastronomie ! 

Si j'ai fait ce risotto de pâtes "orzetto" aux agrumes confits (citron, orange, clémentines, yuzu) et fenouil,  enrichi au fumet de gambas, c'était pour faire plaisir à Claudine qui avait goûté une version légèrement différente de ce plat. Mais cela a fait aussi plaisir aux autres convives. J'ai fait le choix d'un vin qui possédait une grande fraîcheur pour "alléger" un peu le plat : un Vouvray demi-sec 2005 de Foreau. Ce n'était pas un  problème qu'il ait des sucres résiduels, le plat jouant lui-même sur le côté sucré/salé. Son aromatique d'agrume confit répondait bien à ceux du plat, et ses notes légèrement fumées faisait écho à celle des crustacés. On n'était pas peut-être pas sur la magie du plat précédent, mais c'était tout de même  un régal ! 

Nous avons poursuivi avec une galantine de volailles (faisane, colvert, pintade), poêlée de légumes d'hiver (crosnes, salsifis, cerfeuil tubéreux, navet boule d'or, betterave jaune, carotte, chou-rave) et champignons de Paris. Il n'y avait que les filets des volailes dans celle-ci, les restes des volatiles ayant servi à élaborer le plat suivant ... et le jus dans lequel les légumes ont poché en douceur.  La galantine, quant à elle, a cuit 2h30 à 75 °C. Après discussion avec Claudine, nous avons décidé de la servir à température ambiante plutôt que chaude (les légumes et les assiettes l'étaient, par contre).

Claudine a fourni le vin qui accompagnait les deux plats de viande : c'était un magnum de Château Veyrac 1989 (Saint-Emilion situé à proximité de Valandraud dans le secteur de Saint-Etienne de Lisse). Ce vin avait tout du rive droite à maturité issu d'un beau millésime. Il y avait encore du fruit au nez comme en bouche, mais aussi du tabac et de la truffe. La matière était veloutée, bien mûre, sans le moindre tanin qui accroche, y compris en finale. Il y avait de la fraîcheur, de l'équilibre. Et juste ce qui fallait de puissance pour accompagner les plats sans les dominer.  

La tourte comprenait donc les trois volatiles pré-cités, une partie des légumes, des morilles, mais aussi un peu de pomme rôtie au beurre pour apporter un peu de douceur à ce plat très "animal". Tout le monde n'a pas réussi à la finir, car nous avions déjà bien mangé avant celle-ci. Mais bon, ça ne m'a pas vexé. Je reconnais avoir un peu trop généreux dans les quantités...

Le Saint-Nectaire provient de la même source que celui que j'avais mangé la semaine dernière chez l'ami Patrick. Comme je l'avais adoré, j'étais content de le faire découvrir à mes amis de Saint-Yreix. Là encore, le vin provenait de la cave de Claudine C'était un Château Brane-Cantenac 1962. Un 1961 avait plus de chance d'être grand, mais John Kolasa, le presque voisin de Brane à Margaux, m'avait dit qu'il y avait de belles surprises dans ce millésime. Et effectivement, ce fut une très très belle surprise. Un nez très médocain, mêlant boite à cigares, cèdre et âtre de cheminée, avec une touche de cassis mentholé. Une bouche très Brane, à savoir une tension - qui n'a rien de rigide - épousant une matière soyeuse, d'une jeunesse époustouflante pour un quinquagénaire. Et toujours ce cigare enb finale, légèrement fumé/poivré. Peut-être pas grand, mais en tout cas excellent. L'un des plus beaux vins de la soirée.

Pour finir, j'avais pris l'option de la fraîcheur avec un baba aux fruits exotiques. Il n'y avait pas de rhum dans le sirop, juste parfumé au citron vert, à la badiane et à vanille. La chantilly était à base de lait de coco et au citron vert. Et les fruits exotiques n'avaient pas été du tout sucrés. En plus de la mangue, de l'ananas, du fruit de la passion et de la grenade, il y avait aussi du fenouil ... et de la courgette (poêlés rapidement et parfumés à la gelée de yuzu).

Je n'avais en stock qu'un Jurançon de 2001. J'avais peur qu'il soit plus "truffé" que fruité.  J'ai donc choisi dans ma cave un Riesling Auslese Brauneberger Juffer Sonnenuhr 2001 de Martin Conrad. Si le nez légèrement pétrolé pouvait surprendre des personnes peu habituées à ce type de vin, la bouche était très séductrice : une fraîcheur cristalline  éclatante enrobée d'une matière finement onctueuse, au fruit intense, d'une grande digestibilité (8 ° d'alcool...). L'accord avec le dessert était génial, égalant dans les coeurs celui du foie gras/champagne.

Nous avions à peine terminé nos verres lorsque minuit s'est approché à grand pas. Juste le temps de servir un Vouvray pétillant demi-sec de Huet que j'avais découvert au printemps dernier. Il a le mérite de passer sans souci après un dessert sans paraître acide/agressif. C'est avec lui que nous avons franchi le cap de la nouvelle année. Les discussions se sont poursuivies une bonne heure, avant que chacun parte se coucher (je n'avais que quelques mètres à faire...).

Pour info, cette soirée est revenue à 50 € par personne...

BONNE ANNEE A TOUS !!!