Cet essai sur Lucie Dreyfus est très intéressant. Au-delà des dernières informations sur l’affaire car l’auteur fait référence aux travaux historiques, sociologique récents sur l’affaire. Elle nous dresse un beau portrait de femme. En effet, on voit évoluer la femme derrière l’homme, on découvre sa famille et surtout les liens qui vont unir les 2 époux au-delà de l’adversité. Ce lien va être maintenu par les nombreuses lettres qu’ils vont s’écrire pendant 5 ans. Des pans de leurs correspondances, des photos sont aussi présentés au début du livre. La correspondance de Lucie permet de comprendre ses envies, espoirs, l’importance qu’elle accorde à l’honneur et sa foi dans la République. Sa volonté de maintenir son mari en vie, de le perfuser de son amour pour qu’il tienne comme le dit l’auteur. C’est donc avant tout une formidable histoire d’amour qui nous est contée.
En parallèle, une analyse de la place des femmes, de l’antisémitisme de l’époque et des mécanismes de cette horrible erreur judiciaire est analysée. L’auteur explique les motivations, raisons de cette machination, détaille les conditions du procès, la détention de Dreyfus. Elle fait renaitre de ses cendres cette époque du début du siècle, les luttes de pouvoir, la toute puissance de l’armée. Mais le récit remet en avant les hommes, l’histoire de la famille Dreyfus qui incarne le combat pour la justice, l’honneur la liberté et qui réussit à garder son humanité malgré toutes les attaques et la volonté de briser Alfred. La description sur l’île du Diable et ce mini camp de concentration, cette logique pour déshumaniser et faire mourir seul et de folie Dreyfus préfigure la solution finale. Mais c’est aussi la violence aveugle, la bêtise, la lourdeur de l’administration qui est aussi dénoncée.
Les mots courage, honneur, droiture, amour incarnent pleinement nos deux héros, car ils deviennent des héros à travers cette épreuve, arrivant à dépasser leur conditions, les obstacles et à tenir pour rétablir l’honneur de leur nom. Les questionnements sur la justice, l’antisémitisme, le pouvoir de nuisance des médias sont cruellement d’actualité.
L’alternance entre les mots des acteurs de l’affaire, d’historien et de l’auteur donne une grande force au récit. L’auteur met en avant leur humanité dans ce moment exceptionnel qui va dépasser leur histoire. C’est un beau témoignage de courage qu’elle donne à voir. La langue à la fois mordante, romantique, sociologique, historienne de l’auteur donne de la force à cet essai. Elle ne tombe pas dans l’encyclopédisme, ni dans l’anecdote, elle ne se sert pas de l’histoire des Dreyfus mais leur restitue leur vie, leur nom. Elle a d’ailleurs eu accès à des lettres inédites et des témoignages de la famille qui donne un éclairage intime à l’Affaire.
Le carcan des clichés sur les femmes ; la peur du féminisme sont aussi évoqués à travers le portrait de certaines dreyfusarde et de l’attitude de Lucie. J’ai aimé ce récit qui alterne grande et petite histoire pour montrer qu’elles n’en font qu’une. J’ai aimé qu’elle dépeigne Lucie dans sa force de caractère et ses faiblesses, son refus de se présenter comme héroïne, sa volonté de rester à sa place dans la sphère privée. Il n’y a pas de voyeurisme mais les cris du cœur de 2 êtres comme vous et moi pris dans un piège qui les dépassent, condamnés pour ceux qu’ils représentent et pas pour ce qu’ils sont, innocents et décider à résister jusqu’au bout. Ce qui est étonnant c’est qu’ils ne renieront jamais la République, les valeurs qu’elle incarne, ils sont intimement persuadés que la vérité triomphera. C’est donc un bel hommage à la République et ses valeurs qui même si certains les bafouent doit être protégée et défendue, sans renoncer à ses droits.
La fin du récit évoque l’après la bataille pour la réhabilitation, la mort des soutiens dont Zola, la boucherie de la Grande Guerre et les ravages de la 2nde. Lucie se consacre aux œuvres de charité et a parfois une attitude réactionnaire vis-à-vis des émigrés juifs de l’Est. Elle ne prend pas la mesure comme les contemporains de l’époque de l’horreur Nazie même quand une de ses petites filles est déportée.
Un destin qui traverse l’histoire, emblématique à la fois de son temps dans son rapport à son mari, sa famille, sa position sociale. Et pourtant représentative d’un combat pour des valeurs des Lumières qui sont toujours cruellement d’actualité. Alors découvrez cette figure méconnue et rendez justice à Lucie
Voilà mon dernier coup de coeur de l'année 2015, bonnes fêtes à vous