Bonjour à tous,
Fidèles à nos traditions, nous allons procéder à la fameuse rétro de l'année écoulée, comme le font un peu tous les médias, et comme nous le faisons chaque année. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que l'actualité souvent chargée de l'année que nous venons de vivre la rend particulièrement importante. Pour ma part, j'y ai vu l'accélération de ce que certains appellent "l'hypermodernité". Ce concept est bien sûr dérivé de celui de modernité (que nous aurons l'occasion de voir dans le prochain article du Dico des Idées) et fait suite à ce qu'on appelle souvent la postmodernité, ce désenchantement face à la modernité et ses déceptions. L'hypermodernité serait en fait une amplification de ce que la modernité a apporté, et se caractérise par un certain excès dans tous les domaines où elle a pu avoir des conséquences. L'objectif de cet article n'est donc pas de tout dire sur cette année chargée, mais d'en rappeler les événements typiquement "hypermodernes".
Une société bouillonnante
La société hypermoderne est d'abord une société dans laquelle la légitimité des autorités est de plus en plus faible. A l'excès, les groupes sociaux se disloquent et se recomposent, se croisent et se multiplient, rendant le phénomène d'identification et le sentiment d'appartenance plus complexes. Cette remise en question des autorités, déjà présente dans le concept de modernité, s'est amplifiée au point de toucher des autorités qui appartenaient à la modernité elle-même. On peut par exemple rappeler le mouvement continu touchant les dirigeants, hommes politiques et partis politiques, et qui n'a fait que se confirmer lors des élections de cette année. D'abord parce que celle-ci voient toujours une grande abstention (bien que celle-ci ne progresse plus tant que cela et même diminue légèrement). Mais surtout parce qu'elles ont vu la confirmation de l'émergence d'un tiers-parti par rapport à la bipolarité classique, à savoir le Front National, qui entretient et profite de la perte de confiance progressive envers les partis de gouvernement. Si le parti de Marine Le Pen n'a pas réussi à accéder au pouvoir, tout l'intérêt sera de voir si cette montée est suffisamment durable pour faire chuter les partis habituels aux prochaines élections.
Mais la société n'est pas seulement en manque d'autorité. Elle est également en proie à des défis accrus dans de nombreux domaines. Le sentiment que tout s'accélère nous envahit et nous laisse consciemment impuissant face à la tornade de la mondialisation qui rebat les cartes, recompose les territoires,... Le caractère "hyper" de celle-ci s'est encore confirmé cette année.
D'abord économiquement et socialement avec les difficultés toujours pesantes de notre pays à résoudre le problème du chômage. En comptant toutes les catégories des demandeurs d'emploi à Pôle Emploi, on atteignait presque 6,3 millions de personnes. Le taux de chômage en avril dernier était de 10,5 pour cent. Dans les faits d'actualité, cette tension s'est notamment retrouvée dans les violences ayant eu lieu dans le contexte du plan de licenciement prévu par Air France, avec à la clefs les images qui ont fait le tour du monde, à savoir celles du DRH de la société escaladant une grille avec une seule cravate autour du cou et une chemise en lambeaux. Violence physique répondant à la violence sociale selon de nombreuses personnalités de gauche (et notamment Jean-Luc Mélenchon), mais surtout violence témoignant du bouillonnement de notre société "hyper". Dans un autre registre, moins violent, les excès du marché ont notamment concerné un autre secteur en proie à des doutes : le secteur agricole, avec la crise des éleveurs et les manifestations de ceux-ci pour soutenir le prix de leur production vendue à la grande distribution.
Ensuite d'un point de vue politique et culturel ("sociétal" diront certains). La mondialisation n'est pas seulement la libre circulation des biens et des capitaux, ou encore la concurrence et la division internationale du travail. Elle signifie aussi la libre-circulation des personnes. Le sujet d'actualité ici lié est évident : celui des migrants, qui a littéralement traversé l'année de part en part, revenant régulièrement sur le devant de la scène, au rythme des drames humains et polémiques, des traversées maritimes et passages aux frontières terrestres. Incitant tout d'abord à un élan de générosité en Europe (accueil de migrant au niveau local, répartition au niveau européen), le sujet des "migrants" a ensuite entraîné un repli : exclusion de la Grèce des accords de Schengen, renforcement des frontières extérieures (frontière hongroise) et même intérieures (frontière autrichienne). Cela est dû à un autre fait connexe et révélateur des tensions mêlées : les attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis.
C'est bien sûr le fait marquant de cette année : le terrorisme ayant frappé à plusieurs reprises notre territoire, touchant des cibles politiques et communautaires (siège de Charlie Hebdo, Hyper Casher) puis "aveuglément" (restaurants, le Bataclan et le Stade de France). Ces actes furent à la fois prévisibles (l'intervention en Syrie en 2014 est en cause selon les terroristes) et nouveaux (par le nombre de personnes atteintes et par la nature de certaines attaques qui furent des attentats-suicide). Ils révèlent non seulement en partie les tensions internationales (affirmation et croissance de la menace terroriste dans de nombreux endroits du monde, touchant plus encore des pays dits développés), mais aussi les difficultés internes de notre Etat et de notre Société. Le manque de repère et d'autorité, la multiplication des identités et les tensions communautaires, le contexte social, économique et international, ont convergé vers ces "hyper"atrocités. Face à cela le modèle laïc sans cesse réaffirmé peut-il suffire ? L'hyper-laïcité aura-t-elle raison de nos tiraillements identitaires ?
Des individus déboussolés
Nous le disions, l'accélération de l'hypermodernité lance des défis à nos sociétés, toujours plus complexes et exposées. Mais cela déstabilise aussi en partie les individus qui peuvent être touchés par l'exclusion (chômage par exemple) ou la perte de repères (identité, appartenance...). Cela, couplé à l'individualisme et à la négation de l'altérité, peut entraîner chez l'individu hypermoderne un narcissisme, du stress voire de la dépression. L'actualité de 2015 pouvant illustrer ces faits est celle du crash du vol 9525 de la Germanwings le 24 mars dernier. En effet, la cause même de ce crash ayant fait 150 morts est le choix personnel du copilote Andreas Lubitz, qui souffrait selon un proche d'épuisement professionnel et de dépression, ce qui l'avait amené à suspendre sa formation pendant un temps en 2009. Il fut sujet par la suite à un burn out avec des tendances suicidaires. Les anxiolytiques et antidépresseurs qui composaient son traitement furent peut-être aussi l'élément déclencheur de son passage à l'acte selon Bernard Debré.
La question environnementale
Le dernier "hyper" de notre modernité concerne l'environnement et la dégradation irrémédiable de celui-ci. De ce point de vue, 2015 est bien hypermoderne. Déjà classée comme année la plus chaude depuis les premiers relevés météorologiques (battant ainsi 2014), elle fut riche en événements confirmant de plus en plus les effets du changement climatique : vague de chaleur en Inde (30 mai), incendies en Californie (septembre), nuages de pollution en Chine (décembre) ou encore douceur exceptionnelle de la fin de l'automne et du début de l'hiver (plus de 0 degré Celsius au Pôle Nord aujourd'hui). Et l'accord vu comme "historique" suite à la COP 21 de Paris (limiter à 2°C le réchauffement climatique) est bien synonyme de notre incapacité à un retour à la normal : il s'agit de limiter et de contrôle le phénomène plus que de l'inverser. Il contraste par ailleurs avec les pratiques industrielles encore très imparfaites comme le révéla le scandale Volkswagen. Ce n'est que dans un avenir à moyen ou long terme que nous verrons l'efficacité du soucis écologiste et environnementaliste au niveau planétaire.
On l'a vu plus ou moins artificiellement, 2015 s'est jouée selon la logique de l'hypermodernité émergeant des années 1990-2000. L'amplification des différents aspects de la modernité, de la mondialisation, donnent l'impression d'une accélération du temps et d'une intensification de l'histoire. Sans prise sur ce dérobement, la société et les individus sont soumis à un présentéisme et à un urgentisme qui peut être difficile à gérer psychologiquement et socialement alors que les éléments de stabilité, repères et autorités sont en diversification et en recomposition. Le contraste entre la liberté et les exigences toujours grandes de la société et du système multiplie les problèmes psychologiques d'individus fragiles qui dans des époques précédentes (modernité voire post-modernité) vivaient moins longtemps.Ce qu'il y a d'intéressant, mais aussi de vertigineux, c'est de voir et comprendre de quoi va accoucher cette hypermodernité, si celle-ci a une fin ou une issue. Va-t-on devoir encore et toujours innover dans l'utilisation des préfixes pour les accoler à la modernité ou celle-ci est-elle sur le déclin ?
Sources
Sciences Humaines
20 minutes
RFI
Wikipedia
Vin DEX