D'après MOUCHE : souvenir d'un canotier (7 février 1890)
Tous les dimanches, entre Chatou et Argenteuil, j'allais ramer avec trois camarades Poussez-repu, le spirituel Tomahawk et N'a qu'un œil, car il portait un monocle.
Nous formions une joyeuse équipe mais nous n'avions trouvé aucun barreur disponible. Cet équipier est pourtant indispensable sur une yole.
Un jour, N'a qu'un œil nous a présenté Mouche, arguant qu'une femme pimente, affriole la vie des jeunes célibataires.
Elle nous parut vive et délurée. Je lui ai demandé :
-" D'où vient ton surnom de Mouche ? "
Elle ne sut que répondre.. N'a qu'un œil, nous expliqua :
" Elle papillonne et se pose sur toutes les charognes ! "
À l'auberge, il l'asseyait sur ses genoux et l'embrassait devant nous sans la moindre gêne. Pour sa part, Mouche n'avait aucun préjugé...Elle trompa N'a qu'un œil avec nous trois.
Pourquoi aurait-elle été fidèle ? Les dames de la bonne société le sont-elles ? !
Les dimanches, on la laissait à N'a qu'un œil mais nous trois, nous la courtisions à tour de rôle toutes les nuits des lundis aux samedis. Ce qui pour des canotiers dissipés n'était presque pas tromper !
Trois mois après, Mouche se montra nerveuse et irritable. Je la questionnais :
-" Mais, dis-nous ce que tu as ! "
-" Je suis enceinte."
Alors, d'un commun accord, nous lui avons promis d'adopter son bébé. Mouche nous embrassa et répondit :
-" Oh ! Mes amis, mille mercis à vous quatre ! "
Et depuis ce jour, elle nous appela ''Mes quatre papas''.
Quelques semaines plus tard, notre belle aventurière voulut sauter sur le quai avant que nous ayons fini d'accoster. Elle trébucha sur un anneau d'amarrage et disparut dans l'eau. Nous l'avons repêchée aussitôt.
La fausse couche dura des heures dans d'atroces douleurs.
Nous, émus de la voir tant souffrir, nous lui avons promis : -" Console-toi, petite Mouche, nous t'en ferons un autre ! "