[DVD] La drôle de guerre d’Alan Turing, l’action décisive d’un génie méconnu

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

Venant compléter notre papier sur Imitation Game, la biographie controversée du début de l’année 2015, et par la-même notre série d’articles à propos des quatre documentaires consacrés à la seconde guerre mondiale (Résistants, collabos, une lutte à mort, La fascination des femmes pour Hitler et Das Reich, une division SS en France) chez les éditions ZED, La drôle de guerre d’Alan Turing revient sur ce personnage central de la seconde guerre mondiale, mathématicien de génie, père de l’informatique moderne et penseur précurseur de l’intelligence artificielle. Avec une approche plus sérieuse, moins sensationnelle et plus technique que le film, le documentaire de Denis van Waerebeke est un très bon complément pour aller plus loin.

Alan Turing, né le 23 juin 1912, a vingt-six ans lorsqu’il est recruté par les services secrets britanniques pour rejoindre un bataillon hétéroclite de linguistes, de mathématicien, de joueur d’échec et de cruciverbistes dans le but de décrypter les messages secrets de l’État-Major allemand. Esprit brillant, il a l’idée de confier à une machine les fastidieuses vérifications confiées jusque-là à l’esprit humain. Décryptant le fonctionnement puis les messages des machines Enigma, on estime de manière un peu approximative qu’il permit de raccourcir de deux ans les préparatifs du débarquement en Normandie, notamment en perçant la défense des U-boot, les sous-marins allemands qui tenait l’Atlantique sous blocus. Après la guerre, tenu par le secret-défense, probablement gênant, on le mit au placard jusqu’à ce qu’il soit inquiété pour avoir fricoté avec un jeune homme. Condamné à la castration chimique, il se suicida, selon les résultats de l’enquête, à l’âge de quarante et un.

Subissant de plein fouet l’homophobie ordinaire et institutionnelle à l’œuvre au Royaume-Uni, Turing fut une victime de plus de la barbarie. En 2013, il a été gracié à titre posthume par la Reine, trois ans après que Gordon Brown, premier ministre, est exprimé les regrets de la Nation. Dans aucun des deux cas, le pouvoir a estimé que la condamnation fut inique. On est loin d’une reconnaissance pleine et entière de la persécution dont a été victime la communauté homosexuelle. L’historiographie sur la seconde guerre mondiale commence à peine à se saisir du sujet, sort incroyable pour un héros longtemps ignoré et mis à l’écart des livres d’histoire. Car Turing, c’est avant tout un esprit brillant et un logicien hors-pair. Imitation Game avait surtout été critiqué pour salir sa mémoire en l’accusant à demi-mot de trahison. Il s’agit dorénavant de rendre justice à un intellectuel hors-norme associé à un sportif de haut niveau qui pris les problèmes mathématiques qui se présentait à lui comme autant de portes vers des raisonnements plus philosophiques.

Dans le documentaire, il est d’ailleurs utilisés des images animés où il est conçut comme un pure esprit réfléchissant constamment. Pacifiste, athée convaincu et matérialiste, conçoit l’esprit humain comme une machine. Comme toute machine, il en convient qu’elle peut être reproduite. C’est cette idée fondatrice qui le pousse à vouloir imiter, dans l’espoir de parvenir à reproduire, le fonctionnement d’un esprit humain. C’est aussi dans cette optique qu’il ne sépare jamais la théorie de la pratique, devançant les problèmes éthiques avant même qu’ils ne se posent concrètement. Le test de Turing répond à ces problématiques. S’il arrive à prouver que l’on peut confondre une intelligence artificielle avec une intelligence humaine, c’est qu’elle sont semblables. Il parle de machine « consciente », concevant la conscience et l’état physique comme fondamentalement interconnectés. Sa bombe, la machine encore mécanique qu’il invente, tente de reproduire le fonctionnement du cerveau. Après sa condamnation, bien qu’il fut rentré l’année précédente à l’Académie Royale, il fut sciemment évité par la communauté scientifique bien qu’il continua ses recherches.

Parfois compliqué pour des novices, n’hésitant pas à expliquer longuement, manquant parfois d’un effort supplémentaire de vulgarisation, les thèses de Turing, La drôle de guerre d’Alan Turing met en exergue son rôle dans la résolution de la guerre et l’injustice de son traitement mais prend le temps de relativiser l’aspect sensationnel du récit et de faire le point sur les approximations mis à l’œuvre par certains biographes de Turing. Coupant court à la légende de la pomme ayant inspiré Apple ou encore aux thèses complotistes sur son décès, le documentaire de Denis van Waerebeke peut s’imposer comme une référence.

Boeringer Rémy

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