(anthologie permanente) Maylis de Kerangal

Par Florence Trocmé

Maylis de Kerangal a publié récemment à ce stade de la nuit, aux éditions Verticales.
Je songe maintenant à ces noms propres qui sont des toponymes, à ces anthroponymes qui désignent des lieux, à ces villes qui s’appellent Athènes ou Lisbonne sous différentes latitudes, à ces personnages qui se nomment Quichotte ou Gargantua, Guermantes ou Meaulnes, je pense au Havre et à Bouville, à la route des Flandres et à Ellis Island, aux Cards et à Lascaux, à la mer des Sargasses, je prononce le lac Baïkal et Wyoming, je prononce Sahara et Cap Horn, et encore détroit de Gibraltar et delta du Mékong, je murmure Grandes Jorasses, Guadalquivir et Loire, Liège-Bastone-Liège, je murmure Zanzibar, Endoume, Kamtchatka, et encore mont Aigoual, plateau de Millevaches, massif des Maures, les noms se bousculent, ils vibrent et prolifèrent et parmi eux, sur une route des Landes, dans l’été qui bourdonne, ce panneau rectangulaire liseré rouge et ces lettres noires inscrivant MAYLIS sur un fond blanc, ou cet autre, photofraphié en novembre, en Finistère, signalant KERANGALL sous un ciel noir.
Je pense à ces noms inscrits dans les paysages et je pense aux paysages véhiculés dans les noms.
(…)
… la conquête d’un territoire que l’on réinitialise, et les noms qui s’y trouvent y seront écrasés, on les concrétionnera, on les recouvrira, si bien qu’ils s’effaceront de la surface du sol mais continueront de hanter l’espace
(…)
J’ai pensé aux fantômes qui logeaient dans les noms, et je me suis demandé comment les entendre, comment les percevoir.
Maylis de Kerangal, à ce stade de la nuit, éditions Verticales, 2015, pp. 37 à 39.
Vœux de Poezibao : que les noms continuent à se déployer dans l’espace, le temps et la mémoire et singulièrement les noms propres, ceux des lieux détruits, ceux des millions d’êtres assassinés, déportés, noyés, affamés, contraints, exploités. Continuons à écouter leur présence dans leurs noms. Ceux aussi des écrivains, des musiciens, des artistes qui nous aident à "entendre le monde".