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d'après Maupassant (N°26)

Publié le 30 décembre 2015 par Dubruel

~ L'histoire d'une servante de ferme

D'après LES SABOTS (21 janvier 1883)

Jean Dumont, âgé de cinquante ans environ, passait pour être un chaud lapin. Il était riche, bourru, grand et ventru. Il parlait fort et descendait facilement dix à quinze bolées de cidre par jour.

Début octobre, il cherchait une servante honnête. Un de ses voisins, Pierre Landais, paysan sec et bête, se dit : '' J' vas li envoyer not' fille Marie. Ça s'rait p' t être de bon rapport c'te place. Il est veuf, et il a d' quoi.'' (Marie était une gaillarde au regard benêt, aux grosses joues, aux cheveux roux et à la poitrine abondante):.

-" Va donc chez Jean Dumont t' proposer comme servante. Tu f' ras tout c' qu'il t' commandera. " Dumont reçut la mère et la fille Landais alors qu'il prenait son café-calva. Se renversant sur son siège, il demanda :

-" Vous voulez quoi ? "

-" C'est not' fille Marie...qu'elle f' rait ben votre servante."

Dumont considéra la postulante : -" Quel âge qu'elle a ? "

-" Vingt ans. "

-" J'li donnerai vingt francs par mois. J' l'attends demain à six heures pour qu'elle prépare ma soupe du matin. "

Le lendemain, quand Marie apporta la soupière, Dumont lui précisa :

-" Qu'i' y ait pas d' malentendu. T'es ma servante. Rin d' pu. T'entends, Marie ? Chacun sa place. T'as la cuisine, moi, j'ai l' salon. Va à ton ouvrage, maintenant ! "

À midi, Marie servait à son patron un fricot qui sentait bon.

Dumont tonna : -" J'aime pas manger seul. Va chercher ton assiette et ton verre. Tu vas t' mett' là. Si tu veux pas, fous le camp ! "

Epouvantée, Marie apporta son couvert, prit un verre dans le buffet et vint s'asseoir en face de Dumont. À la fin du repas, la servante n'apporta qu'une seule tasse de café. Pris de colère, Dumont grogna :

-" Eh bien, et pour toi, Marie ? "

-" J' n'en prends point. "

-" Pourquoi ? "

-" J' l'aime point. "

Dumont éclata : -" J' prends point mon café tout seul. Si tu veux pas boire avec mé, fiches le camp, nom de dié ! "

Marie alla chercher une tasse, s'assit, prit une toute petite gorgée, et fit la grimace. Dumont la força à tout avaler. Ensuite, il se servit un verre de rincette, puis le second du pousse-rincette, et le troisième, dit du coup de pied-au-cul. Il ordonna ensuite à Marie :

-" Maintenant, va faire la vaisselle ! "

Après le diner, Marie dut jouer une partie de dominos. Puis Dumont l'envoya au lit. À peine était-elle glissée sous les draps, que Dumont vociféra :

-" J'aime pas coucher seul. Marie, viens ici, nom de Dieu ! Si tu veux pas, fous le camp ! "

-" Me v'là..." répondit-elle.

Six mois après, le père Landais, ayant remarqué la rondeur du ventre de sa fille, l'interrogea :

-" T'es grosse depuis quand ? "

-" J' sais pas. "

-" Quéques soirs vous auriez pas mêlé vos sabots, Dumont et toi ? "

-" Ben, oui, i' s' disait amoureux. "

Landais se leva d'un bond et courut chez Dumont pour causer de l'affaire.

Jean Dumont épousa Marie Landais le 15 février.


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