Une lutte de pouvoir dans le cercle fermé qui a gouverné l'Algérie pendant des décennies a viré dans la révélation ces dernières semaines, avec les accusations d'un coup d'État de velours, alors que les questions s'intensifient sur la santé du Président Abdelaziz Bouteflika.
Les révélations presque quotidiennes ont à la fois tant intrigué qu'inquiété les Algériens et ont suscité la crainte bien au-delà de ce pays d'Afrique du nord, dont les réserves pétrolières et la stabilité relative en ont fait un rempart critique contre les mouvements djihadistes empiétant dans la région.
La santé de Mr Bouteflika, 78 ans, est si incertaine, après deux attaques ces dernières années, que même un groupe de ses associés proéminents les plus proches a publiquement exigé de le voir pour s'assurer qu'il prend toujours les décisions. Le président reste si isolé qu'aucun d'entre eux ne l'a rencontré depuis plus d'une année.
Abrégeant un meeting, qui n'a pas été réalisé, les soupçons ont grimpé selon laquelle une clique dans la clique dirigeante, menée par le frère du président, Saïd Bouteflika, a effectivement effectué un coup d'État interne et dirige le pays au nom du président.
"Nous avons ce sentiment que le président a été pris en otage par son entourage direct", a dit Lakhdar Bouregaa, un d'entre ceux qui ont demandé l'audience, dans un entretien avec El-Watan, un des quelques quotidiens indépendants du pays.
"Ce qui nous a motivé était ce vide extrême que nous sentons au niveau de la présidence de la République", a ajouté Mr Bouregaa, un ancien combattant connu de la guerre d'indépendance contre la France.
En attendant, même si c'est le président ou ceux oeuvrant derrière lui qui prennent les décisions, une série stupéfiante de prémices ont eu lieu apparemment dans la préparation pour une transition : une purge du service secret, l'emprisonnement de généraux supérieurs d'armée et une série des lois qui garantissent des pénalités nouvelles et sévères pour des journalistes et d'autres qui dérangent "le moral de la nation".
"Il y a aujourd'hui une lutte féroce concernant la succession", a dit Omar Belhouchet, l'éditeur d'El-Watan, qui a publié beaucoup de révélations du cercle fermé présidentiel. "Personne ne peut dire quand quelque chose va arriver".
Un des développements les plus surprenants a été l'interrogation publique des décisions présidentielles apparentes par le Groupe des 19, comme étant des personnalités bien connues qui ont demandé une audience avec le président.
Parmi eux sont des héros nationaux comme Mr Bouregaa, Zohra Drif, une combattante de même de la guerre pour l’indépendance; et Louisa Hanoune, une politicienne fougueuse qui a été emprisonnée pendant les années de dictature, quand les partis politiques ont été interdits.
Mme Hanoune, maintenant leader du Parti des travailleurs, a dit qu'elle a douté que le président ait même vu leur lettre sollicitant une audience.
"Je suis convaincue que s'il l'avait lue, il aurait appelé certains membres du groupe", a-t-elle dit dans un entretien séparé avec El-Watan. "Quand on est diminué par la maladie et qu’on ne peut pas se déplacer, on devient dépendant des autres".
Mme Hanoune a directement accusé une clique d'oligarques et les ministres de manipuler le président pour passer les décisions qui profitent à leurs intérêts d'affaires.
Elle et Mr Bouregaa ont mis en doute plusieurs décisions gouvernementales récentes qu'ils disent sont hors du caractère du président, particulièrement l'emprisonnement de deux généraux seniors.
Ils ne sont pas seuls. Ali Benflis, un ancien Premier ministre qui était le second dans la course à l'élection présidentielle de l'année dernière, a dit que la mauvaise santé du président avait laissé "une vacance de pouvoir" qui a permis à un clan de prendre le contrôle.
"Des forces extraconstitutionnelles ont saisi des pouvoirs, à l'extérieur de la Constitution, de lui qui est chargé de la présidence", a-t-il dit.
Il a décrit ceux qui en sont responsables comme des gens affairistes louches qui gravitaient autour du président.
"C'est ces forces qui ont pris le pouvoir et gèrent les affaires à la place du président", a-t-il dit. "S'il n'y avait pas de vacance de pouvoir, vous n'auriez pas ça."
Les partis d'opposition avertissent de répercussions plus larges. "Cela m'inquiète pour le pays entier, pour la stabilité globale", a dit Abderazak Makri, le leader du Mouvement d’une Société de Paix, le plus grand parti islamiste légal du pays.
"En plus des problèmes politiques", a-t-il ajouté, "il y a des problèmes économiques, aussi", conduits en grande mesure par une forte baisse du prix du pétrole, qui a atteint son plus bas taux depuis 11 ans cette semaine.
L'Algérie a longtemps été dirigée par un collectif militaire opaque et politique - souvent mentionné comme "le pouvoir" - dans lequel les décisions sont prises dans les coulisses par un système de consensus. Ce consensus peut maintenant s'écrouler, disent les commentateurs politiques.
Mr Mediène, mieux connu sous le nom de Toufik, a dirigé les services secrets, le DRS, pendant 25 ans. Une figure sombre et influente qui n'est jamais apparue dans les médias d'information ou a parlé en public, il a mené "la sale guerre" brutale contre les insurgés Islamistes dans les années 1990, manipulé les élections et a dominé la politique par des dossiers qu’il maintenait contre presque tout le monde.
Les partis d'opposition disent que M. Mediène a arrangé l'élection présidentielle en avril 2014 garantissant un quatrième mandat pour le souffrant Bouteflika. Malgré qu’il ait passé des mois dans un hôpital après une attaque en 2013 et jamais aucune apparition en public ou prononçant un seul discours de campagne, M. Bouteflika a gagné 81 pour cent des voix.
Cependant après la réélection de M. Bouteflika, M. Mediène est tombé en disgrâce. Le président, ou le groupe autour de lui, sont apparus dans un jeu consolidant le pouvoir sans lui.
Les oligarques se sont liés avec le frère du président et le conseiller a pris de l'importance, tandis que les anciens favoris comme ceux dans le Groupe des 19 ont été rejetés.
Trois généraux ont été emprisonnés et plusieurs douzaines d'officiers démis depuis l'été. En août, le général Abdelkader Aït-Ouarabi, mieux connu comme le Général Hassan, le responsable du service secret du contre-terrorisme, a été arrêté.
En novembre, il avait été condamné à cinq ans de prison pour destruction de documents et contravention aux règlements. Les avocats du Général Hassan ont protesté qu’on ne lui ait pas permis d’avoir un procès équitable et en particulier qu'il n’ait pas pu appeler son supérieur, M. Mediène, comme témoin.
M. Mediène est finalement intervenu en public lui-même, une première dans sa carrière, déclarant dans une lettre ouverte que le Général Hassan était sous ses ordres et devrait être immédiatement libéré.
"Tout est devenu soudainement clair", a écrit le commentateur Nourredine Boukrouh dans le quotidien Le Soir d'Algérie. La corruption de haut niveau et le quatrième mandat présidentiel avaient divisé la haute direction militaire et politique, a-t-il écrit et il se répandait dans les médias d'information d’une façon jamais vue auparavant.
Au travers de tout cela, le Président Bouteflika est resté silencieux, communiquant par des lettres occasionnelles au gouvernement, laissant même les plus proches de lui se demander qui est vraiment aux commandes.
C.G.
Le New York Times du 23 décembre 2015