(post publié initialement en novembre 06 et remanié depuis)
La politique de « tout ou rien » est celle qui a causé la perte des Arabes dans toutes leurs oppositions à Israël.
Rassurez-vous, je ne suis pas en train de remettre en cause ici les droits des palestiniens. J'essaie juste de comprendre et de voir le problème sous des angles différents. Aujourd'hui, Israël a 60 ans... C'est un fait qui ne peut être expliqué par nos modes de pensée habituels et par nos réflexes idéologistes.
En 1947, lorsque la résolution de partage a été adoptée par l'ONU, les Arabes l'ont refusée dans le fond et dans la forme. On voulait « Tout ou Rien », ce qui voulait dire une Palestine arabe, sans la moindre présence juive, ou sinon rien du tout. Au lieu de se contenter de rien du tout, les Arabes ont essuyé un échec cuisant : une défaite militaire et un malheureux sentiment d'humiliation.
Par ce refus du partage, les Arabes ont signé leur sortie de la scène internationale (y étaient-ils déjà ?). Ils sont restés à la marge de l'Histoire depuis et ont confirmé leur position de spectateurs qui a déjà été la leur pendant les deux guerres mondiales. Pire encore, par ce refus ils se sont opposés à une décision onusienne, donc prise au nom de toutes les nations du monde. Les Arabes donc ont regardé (et regardent toujours) cette organisation mondiale comme suspecte. Ils s'imaginent depuis que le monde entier est contre eux, qu'on les déteste, parce qu'ils sont Arabes.
Cette politique du « Tout ou Rien » guide nos modes de pensée et nous conduit droit dans le mur. Ils n'y a pas de demi-mesures pour nous autres qui nous disons Arabes. Parler d'étapes, de négociations, de compromis est blasphématoire et c'est exactement ce qu'on a fait comprendre à Bourguiba lors de son célèbre discours à Jéricho, en 1965.
Un peu d'histoire
Le mouvement sioniste voulait exactement la même chose que les Arabes : la Palestine toute entière. Simplement, quand il s'agissait de prendre des décisions opérationnelles les sionistes pouvaient laisser leurs idéaux de côté pour accepter des demi-solutions. Ainsi ont-ils accepté le partage. Certes ils ont eu 55 % du territoire, mais ils ont eu beaucoup trop d'habitants arabes dans ces territoires. Les juifs ne constituaient qu'une majorité légère.
Vous me diriez : ces sionistes sont partis de rien, ils ont finis par obtenir 55 %. Ils sont quand même contents. Certes. Mais il faut voir que les ambitions étaient beaucoup plus grandes que les 55 % obtenus. Il faut voir que ce qui a été obtenu ne pouvait satisfaire les sionistes de l'époque.
Il faut voir aussi que l'Etat juif ainsi né n'avait pas de continuité territoriale et était constitué à 40 % par le désert du Néguev, inhabitable. Mais ils ont accepté, dans l'espoir d'obtenir plus. Sans chercher trop longtemps les pays arabes limitrophes déclarent la guerre et essaient de jeter les juifs dans la mer. Les armées et les dirigeants arabes conseillent même aux habitants arabes de l'entité sioniste de quitter leurs maisons, en attendant une libération totale de toute la Palestine. Vaincus dans la guerre contre des guérillas certes organisées mais limitées dans leurs moyens (Stern, Irgoun et Haganah), les Arabes perdent non seulement les territoires déjà affectés aux juifs, mais encore plus de territoires. Ceux qui ont quitté leurs maisons ne les retrouveront plus jamais. Les Arabes pensaient écrire l'Histoire dans un sens alors qu'elle s'écoulait dans un autre.
Alors certains parmi vous accuseront le Complot de la situation actuelle. Si les Arabes ont échoué, c'est à cause du Complot. La fameuse Mou'amara est un ingrédient quasi essentiel de toute discussion politique. Tout ce qu'on ne comprend pas, tout ce qui peut nous être reproché est tout de suite mis sur le dos du Complot, sioniste, impérialiste, américain, juif… Mais au-delà des hypothèses et des suppositions il y a les faits, et les faits sont têtus.
Détour par le Complot :
Le fameux complot est un concept qui en devient presque vital à la pensée arabe du XXè siècle. Le pire des négationnismes serait aujourd'hui de nier son existence.
Je ne vais pas commettre un tel blasphème. Le complot a bel et bien eu lieu ! Et comment !
Vers 1915, en pleine guerre, les britanniques avaient besoin de soutien des Arabes de toute la région du Cham (aujourd'hui Syrie, Liban, Palestine et Jordanie) pour vaincre son ennemi turc. Ces régions étant des provinces ottomanes, il était relativement facile de mobiliser les gens contre leur colonisateur. En contrepartie le gouvernement de sa Majesté accordera aux Arabes un grand Etat indépendant pour eux seuls, qui allait s'étendre du Cham pour inclure l'Irak et le Hidjaz. Un grand dignitaire du Hidjaz, le Chérif Hussein se voyait déjà roi du pays à naître. Il combattit alors avec tous les arabes de la région contre les turcs.
D'un autre côté les britanniques avaient besoin d'un financement solide et constant de l'effort de guerre. Les finances du pays étant tenues en grande partie par des juifs, le gouvernement de sa Majesté leur promet « un foyer national juif » en terre de Palestine, en réponse au vœu sioniste de voir créer un Etat pour les juifs. L'idée de l'Etat juif commençait à l'époque à faire son chemin parmi les juifs d'Europe (rappelez-vous, le congrès sioniste a eu lieu en 1896 à Bâle, donc une vingtaine d'années plus tôt). C'est donc la fameuse déclaration de Balfour, du nom du ministre anglais qui l'a formulée (en 1917).
1918, la guerre est finie. La Grande Bretagne s'empresse de diviser la région entre elle et la France, en vertu d'un accord entre les 2 ministres des affaires étrangères des 2 pays passé en … 1915 ! (accord connu sous le nom de Sykes-Picot, du nom des deux ministres). Les anglais ont donc promis tout à tout le monde, et ont partagé le gâteau avec les amis français !
Cette trahison a été mal accueillie des 2 côtés arabe et sioniste. Les affrontements entre les 2 communautés se sont poursuivis ainsi que les attaques contre les anglais perçus comme les colonisateurs du pays. Et oui ! les bandes sionistes de l'époque perpétraient des attentats contre les intérêts britanniques.
Tout ça pour dire, que le Complot, la conspiration, c'était ça. Depuis les Arabes parlent de Complot en se référant à cette série d'évènements pendant laquelle la Grande-Bretagne s'est avérée machiavélique dans sa gestion de la situation.
Mais alors soyons d'accord : le Complot, c'est un évènement du passé. Une chose avérée et ponctuelle dans l'Histoire de la région. Depuis, plusieurs choses se sont passées et les Arabes se sont trouvés d'abord dans un grand jeu qui les dépasse à savoir la Guerre Froide. Puis, dans la nouvelle configuration mondiale d'après la chute du mur de Berlin, les Arabes peinent encore à trouver une place sous le soleil. Mais expliquer tout par le Complot revient à se trouver des prétextes pour notre propre faiblesse.
Je reviens au « tout ou rien » pour faire une remarque :
Le sionisme est un mouvement qui évolue avec le temps. C'est une idéologie dynamique qui a viré d'un mouvement laïque de gauche fortement occidentalisé à une idéologie de droite qui s'inspire plus de la religion et qui est capable d'absorber des juifs orientaux. Alors on peut crier si on veut que le sionisme est par essence un racisme, mais admettons une chose : le sionisme a vaincu le panarabisme, la preuve c'est que l'Etat d'Israël existe toujours à nos jours.
Je veux clarifier une chose pour ceux parmi vous qui désapprouveraient ce qui est écrit quelques lignes plus haut : ce n'est pas parce que le sionisme est plus "juste" que le panarabisme qu'il l'a vaincu. Ce n'est pas parce qu'il défend une cause plus noble, ou que ceux qui le portent sont plus "purs" aux yeux de Dieu. Le sionisme a triomphé car il s'est doté des moyens de sa victoire : financement, stratégies militaires, industrie, technologies, vie politique...
Croire que ceux qui défendent une cause "juste" gagnent à la fin revient à un infantilisme politique dont certains des dirigeants arabes sont encore capables à nos jours. Nous nous trouvons parfois incapables d'accpeter qu'une solution injuste s'impose et devient une réalité. Mais nous oublions au même temps le nombre de causes justes qui ont été perdues au cours de l'Histoire, le nombre de peuples disparus, le nombre de guerres injustes, de morts pour rien, le nombre de peuples sans patrie, de cultures écrasées sans raison, sauf celle du plus fort...
La question n'est pas de savoir si la cause est "juste" ou pas, et permettez-moi de me répéter : je ne suis pas en train de faire l'apologie du sionisme. Je relate juste des faits et j'essaie de comprendre pourquoi est-ce qu'on en est là.
A l'opposé du dynamisme du sionisme, le statique, l'arbitraire et l'émotionnel guident la stratégie arabe. Pour se rendre compte à quel point l'on est rigide, regardez le nombre de premiers ministres israéliens qui ont négocié avec Arafat : Shamir, Rabin, Peres, Natanyahou, Barak, Sharon. De l'autre côté un seul interlocuteur : Arafat. Chaque 2 ou 3 ans la classe politique israélienne nous offre de nouveaux visages, de nouveaux noms, de nouvelles idées. Du côté arabe on rumine encore les discours d'il y a 50 ans. On ne veut (peut ?) pas évoluer, on ne veut (peut ?) pas s'adapter. Quand notre politique et nos attitudes ne payent pas, on se radicalise encore plus (les mouvements islamistes) tandis que nos dirigeants sont pris dans un jeu hypocrites où ils cherchent à satisfaire la rage du peuple face à l'injustice et les exigences des puissances mondiales.
Raisons possibles d'une défaite annoncée
La Palestine en tant que pays indépendant n'existait pas avant 1947. On était à la fin de l'ère coloniale et la Palestine était une province turque avant de passer sous mandat britannique. Les israéliens ont donc raison quand ils disent que le peuple palestinien n'existait pas. Sauf qu'ils omettent un détail : Le peuple palestinien n'existait pas en tant que peuple, mais les gens existaient bel et bien. Il n'y avait pas une conscience nationale qui lie les membres de la société entre eux, il n'y avait que des allégeances tribales, des dignitaires, des chef de tribus, des commerçants, des villes…mais guère une société ni un peuple. Ceci ressemble beaucoup au cas de tous les pays qui ont été colonisés, ces pays n'ont connu la forme moderne de l'Etat que comme un effet secondaire "bénéfique" de la colonisation (y avait-il une conscience nationale tunisienne au début de l'époque husseinite par exemple ?)
Les choses changent pour les palestiniens dès les années 60. A ce moment-là ils se forgent une identité propre et se trouvent un représentant national : l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Le peuple palestinien a enfin un visage. De l'autre côté, le concept de « peuple juif » même confus et plus mythique que réel (qu'est ce qui lierait un juif yéménite à un juif new-yorkais ?), ce concept-là était plus clair au moins dans la tête des sionistes. Alors que les Arabes essayaient de restaurer l'Etat promis par les anglais (qui n'a jamais vu le jour), les juifs convaincus par le sionisme modernisaient leur langue et jetaient les bases d'une société moderne, certes aux origines les plus disparates mais au moins avec une identité propre.
Une des raisons du problème est donc la suivante : l'idée d'Etat-Nation n'a jamais été digérée par les Arabes, alors qu'elle était inhérente à la préparation et la fondation de l'Etat hébreu. La preuve en est, la Palestine en tant qu'Etat-nation n'existe toujours pas et certains arabes appellent toujours de leur voeux un Etat-nation qui réunirait les différents peuples arabes. Pour ainsi dire, la notion d'Etat-nation n'est pas encore arrivée à maturité chez les Arabes.
Je pense aussi que les Arabes n'ont pas compris que le temps joue contre eux. Plus le temps passe plus la légitimité d'Israël est admise par tous. Plus le temps passe, plus les réfugiés souffrent et pour les mieux lotis parmi eux, plus ils s'intègrent dans leur pays et oublient leur mère-patrie. Le temps a permis aux sionistes de bâtir un Etat moderne doté d'une force militaire impressionnante. Il leur a permis de peser dans la diplomatie internationale. Pendant ce temps, les Arabes rivalisent dans la médiocrité avec un positionnement sur les classements mondiaux plus qu'honteux (taux d'alphabétisation, niveau de vie, dynamisme culturel, développement économique et social…). Le temps c'est tout ce qu'il fallait à Israël, mais il ne s'écoule pas de la même manière pour les Arabes.
Mots de la fin
Pourquoi parler de ce conflit douloureux et sensible ? D'abord parce qu'il est inadmissible qu'une telle situation se prolonge encore et encore. Certes il y a eu une énorme injustice envers les palestiniens, mais la réparer requiert qu'on prenne compte du contexte dans lequel on vit et puis de l'histoire depuis le début jusqu'à aujourd'hui. Le fait que la cause soit "juste" ne garantit en rien la solution finale du conflit.
J'en parle, parce que ce conflit paralyse les Arabes qu'on aurait l'impression d'entendre dire : réglez le problème du Moyen-Orient après on pensera à se développer, à se démocratiser…
J'en parle, enfin, parce que la situation mondiale est aujourd'hui plombée par ce problème. Et si on le réglait, y aurait-il moins d'attentats terroristes de par le monde ?
Finalement, je crois que l'idéologie est le problème et non pas la solution. Pourquoi il y a des colonies en Cisjordanie ? Parce qu'il y a des gens qui croient que leur devoir est d'habiter là-bas. Pourquoi il y a des gens qui se font exploser et tuent des enfants innocents ? Parce qu'on leur a appris que c'est leur devoir de le faire. Pourquoi il y a des bulldozers qui détruisent des vies, des terres, des maisons dans les territoires occupés ? Parce que l'idéologie veut que la terre appartienne à un camp et pas à un autre.
Parce que l'idéologie est aveugle, elle est incapable de voir l'homme. Parce que l'idéologie est un instrument de mobilisation des masses, elle est incapable de traiter ces masses comme des êtres humains, mais uniquement comme un outil. Parce que l'idéologie est partiale, elle ne raconte que la moitié de la vérité.
Sortons des idéologies. Sortons du « tout ou rien ».