Nous avons eu la chance de voir L’orchestre de minuit, qui sortira le 2 mars 2016, en avant-première. Le film de Jérôme Cohen-Olivar, né à Paris mais ayant vécu une grande partie de son enfance au Maroc, rend hommage à son pays d’adoption dans une fable parfois loufoque, toujours tendre. Il y dépeint une réalité que l’on connaît peu, celle d’un pays musulman s’enrichissant du métissage avec la culture hébraïque, à travers le parcours romancé de Marcel Botbol, violoniste du célèbre Orchestre de minuit, et la quête d’identité de son fils, exilé en Israël puis aux États-Unis.
À la demande de son père, Michael Botbol (Avishay Benazra) revient au Maroc après trente ans d’absence. Il a fait fortune à la bourse et acquit par la-même l’incompréhension de son père (Marcel Botbol) plus bohème que financier. Avant d’avoir pu recoller les morceaux, celui-ci décède. Michael, par l’intermédiaire de son chauffeur de taxi, Ali (Aziz Dades), va retracer les pas de son père pour se réconcilier avec son passé. En recherche de vérité, il va retourner auprès des camarades de l’orchestre de son père pour comprendre pourquoi ce dernier a quitté le Maroc sans prévenir personne.
Michael Botbol (Avishay Benazra), Rabbi Moshe (Gad Elmaleh) et Mr. Hazan (Hassan El Fad)
L’orchestre de minuit, c’est avant tout une fable surréaliste composée d’une galerie de personnages tous plus dingues les uns que les autres. Mais c’est une folie douce qui les habitent, une folie nostalgique, une folie enivrante, une folie s’écoulant au rythme des notes de musique. Il y a Hafdaoui (M’Barek Mahmoudi), une brute au grand cœur qui rappellerait un Bud Spencer sémite, qui parle peu mais déborde d’énergie et d’amitié sincère, Faouzi (Abbes Kamel), devenu un musulman pratiquant et que les autres appellent « le terroriste » autant par plaisanterie que par ignorance, Mohammed (Hamid Najah), un vieux fou au regard perçant d’humanité que l’on a interné, car il prétend entendre l’Orchestre jouer encore la nuit dans les flots de la Méditerranée, et Lofti (Jamal Eddine Dkhissi), espèce de proxénète traînant dans des affaires louches. C’est au hasard de ces rencontres très fortes, donnant souvent dans les situations les plus burlesques, que l’humour décalé de L’orchestre de minuit fait mouche. De plus, les quelques apparitions fugaces de Gad Elmaleh dans le rôle de Rabbi Moshe, entrepreneur en pompe funèbre filou rajoute au cachet comique du film. L’acteur en donne pour ses aficionados, véritable trublion pince sans rire.
Lofti (Jamal Eddine Dkhissi) et Soraya (Amal Ayouch)
Frisant avec le fantastique, notamment à travers les divagations de Mohammed, L’orchestre de Minuit est un vibrant hommage aux musiciens et à la force évocatrice de la musique. C’est celle-ci qui rassemble des personnages aussi hétéroclites. C’est la culture, que dis-je, les cultures partagées qui, germant, donne vie au sublime. Contrairement à l’Occident chrétien, l’Islam a longtemps été une religion de paix. Durant la longue histoire de l’Empire Ottoman, les juifs purent y trouver un refuge face aux pogroms et à la haine sans visage de religieux sans compassion. C’est ainsi que le Maroc accueilli une forte population juive fuyant les persécutions de la Reconquista espagnole. Méprise de l’histoire, soubresaut désespérant de l’instrumentalisation politique, le film de Cohen-Olivar raconte aussi l’envers du décor, comment certain mafieux mal intentionné purent profiter de l’incertitude que fit peser la guerre de Kippour sur les populations juives. C’est l’occasion de remettre à leur place des faits historiques bien plus compliqués qu’on voudrait parfois nous le faire croire et qui plongèrent certain malheureux dans la tourmente, les forçant à choisir entre deux identités qu’ils auraient tant voulu cultiver en commun.
Michael Botbol (Avishay Benazra), Ali (Aziz Dades), Hafdaoui (M’Barek Mahmoudi), Lofti (Jamal Eddine Dkhissi) et Mohammed (Hamid Najah)
Réconciliation posthume avec le père, sonnant comme une identité à retrouver, comme une diversité à accepter, L’orchestre de minuit est le symbole vivant d’une fraternité que l’on croit acquise mais qu’il faut sans cesse continuer d’honorer malgré les obscurantismes jaillissants des interstices idéologiques. N’oublions jamais de cultiver nos identités pour combattre le repli identitaire.
Boeringer Rémy
Pour voir la bande-annonce :