Frédéric Laloux n’est pas là où on l’attend. L’été dernier, son livre Reinventing Organizations, qui a rencontré un formidable succès, s’est métamorphosé en wiki, le contenu du livre se trouvant distillé et transposé en ligne. Plus d’une centaine d’auteurs et de rédacteurs ont participé au projet ; le contenu, devenu open-source, s’est libéré de son auteur.
source : mixmashup.org
Passer en Creative Commons est un choix pour le moins inhabituel pour un auteur à succès. On est plutôt habitué au scénario suivant : les ventes du livre explosent, l’auteur se lance dans une tournée de conférences, l’éditeur consolide la marque, l’auteur vend la suite. Reinventing Organizations s’y prêterait parfaitement.
Le livre est un véritable phénomène. Il fédère une communauté de passionnés et nourrit un marché pour des consultants accompagnant les entreprises dans cette transition vers le stade Opale. Des milliers de gens veulent soutenir le mouvement. Ceux qui s’engagent sur la voie de la réinvention ne sont pas prêts à faire marche arrière, au contraire : vu de l’extérieur, les vertus du paradigme opale sont séduisantes, mais quand on y a goûté, elles deviennent incontournables. Le succès du livre, sa pertinence et son impact immédiat soulèvent immanquablement la question de la suite. Reinventing Organizations a mis le feu. Les gens veulent faire la révolution, et peuvent attendre de Frédéric Laloux qu’il endosse le rôle de leader.
source : @voinonen
Chris Clark, qui a collaboré à la création du Wiki de Reinventing Organizations, rapporte dans un article du site Elivening Edge une conversation avec Frédéric Laloux sur l’avenir de Reinventing Organizations. A la question « Où tout cela mène-t-il ? », voilà ce qu’il répond :
« Je ne sais pas. »
« Pour moi, ce livre est une goutte d’eau dans un océan. Il y a une telle énergie autour de ce sujet, qu’il serait idiot de ma part de faire semblant de savoir comment elle va se manifester et éclore. Pour rester dans la métaphore de la nature qui est si présente dans le stade Opale, la nature dans toute son abondance est d’une efficience remarquable ; souvent, elle accomplit beaucoup avec très peu d’énergie. J’ai le sentiment que mon rôle devrait être celui-là. »
« C’est une période intéressante pour moi : essayer de déterminer quel rôle je pourrais jouer dans tout ce qui se passe autour du livre. Notre culture me pousse en grande partie à devenir un personnage public et à essayer de récolter les fruits de ce succès inattendu. Je suis régulièrement approché par des gens qui veulent m’aider à le vendre à grande échelle, à devenir une marque.
Mais je sais que ce n’est tout simplement pas une chose que j’ai envie de faire. Paradoxalement, ne pas être un leader fort et visible, mais le garant d’un espace où toute personne qui ait de l’énergie et du talent à partager se sente invité, me semble une position plus puissante. C’est ainsi que commencent à bourgeonner et à sortir de nulle part beaucoup de choses que je n’aurais jamais imaginées ni pu faire exister.
Cela convient aussi bien à mon tempérament. Personnellement, je n’ai pas besoin d’être très visible, de tenir le milieu de la scène, d’être le porte-flambeau d’un mouvement. D’un autre côté, j’adore être sur scène, donc s’il y a des endroits où la visibilité que m’a donné le livre peut être utile, je ne ferai pas mon timide.
La question que je me pose et que je vous pose est donc : Où voulez-vous porter ce mouvement naissant ? Quelle initiative prendrez-vous ? Je suis heureux de participer au processus, et si je peux, de donner un coup de pouce à un moment critique. »
« L’énergie nécessaire pour réinventer les entreprises est déjà là, je n’ai pas besoin d’essayer de la créer. Les gens ne cessent de venir me voir avec des idées et des contributions. Partout dans le monde, des gens sont prêts à payer pour faire advenir le changement. (…) Ils n’ont pas besoin de grand-chose de ma part, si ce n’est peut-être de quelques mots d’encouragement, ou d’une mise en contact avec quelqu’un d’autre. Imaginons à présent que j’aie élaboré dès le début un plan directeur indiquant où je voudrais que nous soyons dans trois ou dix ans. J’ai longtemps travaillé comme consultant chez McKinsey, et croyez-moi, je saurais encore vous concocter un plan qui en jetterait. Mais les entreprises Opale que j’ai étudiées m’ont appris que ressentir et réagir était autrement plus puissant que prédire et contrôler. Si j’essayais de contrôler ce qui se passe et de l’orienter dans une certaine direction, je limiterais gravement son potentiel. Je suis convaincu que beaucoup de gens n’auraient pas rejoint l’aventure s’ils avaient senti que le parcours était déjà tracé.
source : @voinonen
J’essaie donc d’apprendre ce que signifie être le gardien de cet espace, inviter, être aussi visible ou discret qu’il me semble nécessaire. Et être aussi surpris que vous par la façon dont tout ceci se déploie. »
Comme le conclut Chris Clark, l’état d’esprit qui nous pousse à écrire des plans directeurs est le même qui nous appelle à faire la révolution : on peut dépasser les deux. Ce que nous cherchons n’est pas un état idéal, une terre promise ou un rêve. Ce que nous voulons est fluide, adaptable et humain.
Il est naturel de se demander où tout cela nous mène et quelle est l’étape d’après, mais peut-être sommes-nous en train d’évoluer au-delà de ce type de questions. A nous de répondre, chaque jour et chaque instant, à la question du « et maintenant ? ».