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Donne nous ... (5) - William (première partie)

Publié le 11 juin 2008 par Audine

Longtemps j’ai vécu hors de moi.

Car je suis trop de colères à la fois.

 

Je suis les yeux baissés d’Auweyida et les joues mordues de sa femme, Eigamoiya, debout au salut du drapeau allemand, hissé sur Nauru.

Mon peuple descend du trottoir pour laisser passer le missionnaire blanc des Liebenzeller Mission, qui a écrit la Liste des Choses Interdites : la polygamie, le pagne, les frictions à l’huile de noix de coco et les danses traditionnelles.

La dysenterie s’est abattue sur Pleasant Island, au nord est de l’Australie, 21 km² ravagés par la sérial killeuse.

Début du XXe siècle, et je hais les allemands.

 

La Jaluit Gesellschaft possède les sous sols mais une entreprise plus futée, la Pacific Island Company les lui achète pour 2 000 livres sterling comptant et creuse pour en extraire le phosphate.

Je suis la saignée de Nauru, commencée en 1906 pour quelques picaillons.

 

A l’ombre d’un vraquier je vois l’armée australienne passer sur le ponton de chargement du phosphate et prendre possession de Nauru en envoyant 6 hommes chez l’administrateur.

La Pacific Phosphate Company importe une main d’œuvre de 1 000 chinois et fait travailler de force une partie des 1068 nauruans.

Mais 1068 ça n’est pas assez, la survie de l’ethnie est menacée et les australiens inventent en 1919 un programme d’incitation à la reproduction, l’Angam Day. L’enfant nauruan né le 1500e sera honoré toute sa vie et ce jour béni sera fêté.

Je suis la mortification de l’Angam Day et la religion nauruane totémique abolie.

La Grande Guerre est finie et je hais les australiens.

 

L’Angam Baby est née le 26 octobre 1932 et s’appelle Eidegenegen Eidagaruwo.

 

A l’ombre d’un bunker japonais construit sur le sommet de l’île, le Command Ridge, je regarde l’aéroport se construire avec une main d’œuvre importée de 1 500 japonais et coréens et des travailleurs forcés nauruans.

Je suis la famine de Nauru et la déportation dans les îles Truk, à 1 600 km au Nord Ouest.

Je suis chacun des 737 survivants sur 1 200 déportés et je hais les japonais.

 

Les vainqueurs reprennent possession de Nauru et les australiens continuent à perforer l’île avec la British Phosphate Commissioners. Je suis chacun des muscles qui creusent dans la terre, et grâce à eux, l’exportation du phosphate rapporte 745 000 dollars australiens, dont 2% aux nauruans et 1% à l’administration de l’île. Je suis l’émeute de 48 et chacun de ses morts.

 

Je suis aux cotés de Hammer DeRoburt, un rescapé de Truk, lorsqu’il va déposer plainte à l’ONU pour spoliation contre les australiens qui paient le phosphate au tiers du prix pratiqué ailleurs.

Je suis à coté du pêcheur de poisson lait ruiné par l’implantation de l’élevage du tilapia du Mozambique.

Je suis Nauru aspirée, vidée, aussi inutile que des trous de gruyère, que les australiens envisagent de déménager sur d’autres îles près des cotes du Queensland.

Je suis aux cotés encore de Hammer DeRoburt lorsqu’il réclame en 1966 l’autodétermination complète. Que l’Australie nous accorde en 1968, le 31 janvier, au 22e anniversaire du retour des déportés de Truk. Que l’Australie nous accorde …

 

C’est l’âge d’or de Nauru et je crache sur la manne.

La British Phosphate Commissioners devient la Nauru Phosphate Corporation et le cours mondial du phosphate atteint des sommets.

Nauru est le second pays après l’Arabie Saoudite dans le classement du PIB par habitant.

Le soir devant ma fenêtre, j’énumère en mantra, le Civic Center, l’hôtel Menen, la station de télécommunication satellite, la Air Nauru , le gratte ciel Nauru House, le golf et les matchs de foot à Melbourne et pas d’impôt.

Je regarde par la fenêtre et je crache sur l’indépendance de Nauru.

 

Je suis la plainte déposée en 1989 devant la Cour Internationale de Justice à l’encontre de l’Australie pour destruction quasi-totale de la surface de l’île.

Je suis la dignité foulée aux pieds dans le porte monnaie renfermant les 107 millions de dollars australiens négociés hors tribunal, ainsi que les 2,5 milliards de dollars australiens sur 20 ans pour restaurer le centre de l’île, les 12 millions de dollars du Royaume Uni et de la Nouvelle Zélande pour la perte des terrains agricoles.

Je crache sur Nauru, qui s’engage alors à cesser les procédures judiciaires.

 

Je hais la belle putain sans fard qui a rampé aux pieds de l’occident blanc. Pleasant Island n’a plus à vendre que ce qui la fera entrer en enfer : ses voix à l’ONU pour Taiwan, ses voix à la Commission Baleinière Internationale pour le Japon, des camps d’internement pour les émigrés de la Solution du Pacifique des australiens, le blanchiment de l’argent sale et des faux passeports.

Je hais la putain malade de l’Occident, qui traîne son diabète type II, son surpoids qui la bâillonne, son cœur spongieux et sa mâle espérance de vie à 58 ans.

   

Je m’appelle Eamwidamit et j’ai la peau cuivrée qui luit dans le noir et un sourire carnassier.

Un jour dans un bar, un homme m’a traité de nègre. Mes poings sont devenus mauves et ses dents sont devenues rouges.

J’ai quitté cette ville et maintenant, j’habite ici. Je m’appelle William et c’est plus simple.

 (à suivre)


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