Où, au détour d'une bande dessinée, des rapports filiaux se décrivent avec subtilité, douceur, exigence... ou le rapport au monde se dévoile aussi
"Je ne comprends rien aux histoires de ma mère. C'est pou ça que je ne réponds pas habituellement, surtout quand mon père n'est pas là. Mais quand je ne dis rien, pour ma mère c'est aussi grave. Elle pense que je refuse de lui parler car je me sens supérieure à elle. Je ne me sens ni supérieure, ni inférieure. Tout simplement, je ne sais pas pourquoi elle crie comme ça. Si je fronce les sourcils, ce n'est pas pour t'agacer encore plus, maman. Si je me mords les lèvres, ce n'est pas pour me moquer de toi. C'est juste que j'ai peur de ta colère. Parfois, quand tu me regardes, je me vois dans tes yeux, toute petite et déformée. Peut-être que tu me vois tout le temps comme ça. Si c'est le cas, je comprends pourquoi tu me méprises. Je ne suis pas belle dans tes yeux. Je ne suis même pas humaine. Je ressemble à une poupée de chiffon. J'ai plus de poupée de chiffon, mais je sais que comme avec tous les jouets, on aime bien s'amuser, mais aussi les tirer, vérifier leur résistance aux coups, on les maltraite... La différence, c'est que je suis en vie alors qu'eux ne sont que des objets. Je voudrais bien te l'expliquer, maman, mais je pense que ça va t'énerver encore plus... je préfère ne rien tenter du tout."
"Les yeux de mon père sont fatigués, plissés. Est-ce qu'ils étaient comme les miens, avant? Grands ouverts? Ils voulaient tout voir, tout comprendre, tout contenir? Est-ce que l'âge change la taille des yeux? La taille de la curiosité? Peut-être que moins de choses nous surprennent quand on grandit. Ou tout simplement, il y a des choses qu'on ne voit plus ou qu'on veut plus voir. Chez papa, ça doit être la fatigue. Et ses grandes poches le confirment. Elles sont bien gonflées, aujourd'hui et pas seulement les siennes. C'est propre aux adultes. C'est l'endroit où ils rangent tout ce qui ne va pas. Tout ce qui les préoccupe, tous leurs soucis. J'aime les yeux de mon père. Rieurs et tristes en même temps. Tout le monde dit: tu as les yeux de ton père. N'importe quoi! Si j'avais les yeux de mon père, avec quoi il regarderait le monde?"
(extrait de "Marzi, 1989" de Marzena SOWA et illustré par Sylvain SAVOIA; Dupuis. Je parle du premier tome de l'intégral ici)