En 1958, le peuple français s’est doté d’une Constitution qui, après plusieurs révisions, ne s’est jamais écartée de ses principes fondamentaux. Son premier article, dont le rang souligne le côté primordial, édicte ceci : « [La France] assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. » Cette même Constitution a placé au sommet de l’État un président chargé, entre autres, de veiller à son respect. Que peut-on penser de celui qui, le 30 juillet 2010, à Grenoble, s’est exprimé ainsi : « La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement … » ? Nos sages discutent gravement, lors des questions préalables de constitutionnalité, de la conformité à la Constitution de tel ou tel texte législatif. Je m’étonne toujours de ce que cette transgression de notre texte fondamental par celui chargé de le faire respecter n’ait pas suscité davantage d’émoi et de ce que quelque Haute autorité de notre République ne se soit pas saisie de cette affaire pour juger le présumé coupable. Pour ma part, j’aurais incliné à envisager pour un manquement aussi énorme la destitution d’un homme lui-même si prompt à déchoir d’autres de leur nationalité.
Voilà que notre premier ministre marche sur les traces de Nicolas Sarkozy en tentant de faire inscrire dans notre Constitution une peine de déchéance de la nationalité de certains Français. Si notre ancien président foulait aux pieds le premier article de notre Constitution, établissant une distinction entre les Français selon leur origine, Manuel Valls s’en prend à son préambule qui réaffirme l’adhésion de la France à la Déclaration des droits de 1789. Celle-ci énonce que les hommes sont égaux. À mon sens, cela interdit de distinguer parmi les Français ceux d’origine étrangère, n’est-ce pas Manuel ?
Je trouve Valls encore plus contestable dans la défense de sa position. Ainsi, dans le Journal du Dimanche, il a répondu à ses détracteurs : « une partie de la gauche s'égare au nom de grandes valeurs en oubliant le contexte, notre état de guerre ». Ah, tiens, se préoccuper de grandes valeurs, c’est s’égarer ? Quelles que soient les circonstances, une démocratie pourrait graver dans le marbre l’abandon des valeurs qui la fondent ? Valls rejoint ainsi les pourfendeurs traditionnels des droits de l’homme qui traitent ceux qui y sont attachés de « Droitdelommistes ».
De plus, notre premier ministre n’est guère cohérent. Il affirme qu’il ne faut pas oublier le contexte. C’est reconnaître que ce texte est lié au contexte, donc par définition singulier. S’il peut faire l’objet d’une loi, il n’a rien à faire dans une Constitution. VaIls parle de notre état de guerre. Nous ne sommes pas en guerre mais dans un état d’urgence, qui a entraîné la suspension de certaines de nos libertés. En dehors des guerres civiles ou des guerres révolutionnaires, une guerre s’exerce entre des États. Rappelons qu’il a fallu des dizaines d’années pour que les opérations de maintien de l’ordre en Algérie soient requalifiées en guerre.
Valls déclare également que l’objectif est avant tout symbolique et que, si la mesure voit le jour, elle ne s'appliquera "heureusement" qu'à un petit nombre de personnes. Là, il me semble s’enliser totalement. Symbole, de quoi ? De la négation de nos valeurs. Et, sans parler de son efficacité, pourquoi un tel reniement pour un si petit nombre de cas ?