Livre vin : entre le bordeaux et le grenat d'un éditeur qui a fait faillite, diffusé par le Seuil. En
première de couverture une orgie, une peinture acrylique de Gérard
Fromanger, moche comme tout.
En quatrième, rien, juste que l'auteur Claude
Cabanes a été Rédacteur en chef de l'humanité, avant d'en être l'éditorialiste. Ca m'agace,
il aurait mérité une quatrième de couverture au niveau de l'intelligence de son écriture qui saisit plus que la peau, ce vêtement d'histoire qu'est l'amour, la rencontre avec l'autre et la
société qui l'accompagne. Entre peau de l'homme, le narrateur et son siècle, son passé, ce dont il est fait, ce qui le modèle.
Pas de résumé, pas d'accroche à part cette gigantesque fresque de corps de femmes de face (avec
visages) et d'hommes sexes sans visages, une paire de fesses. C'est un homme qui a peint bien sûr, comme lorsqu'un rappeur s'entoure de femmes presque nues, lui reste habillé. La femme animal
?
Le très beau titre « le siècle dans la
peau », m'évoque un voyage, un passage, un versant que l'on passe de part et
d'eau-tre.
Par les liquides, les fluides, la salive des corps ?
Première page : allusion à Aragon :
CCabanes écrit, cite Aragon «
à l'envers » Comme il allait de con en con. Il devint terriblement triste. Comme il allait de con en con. Terriblement triste/
CCabanes remplace triste par « gai » et son livre est gai vraiment, même drôle, cocasse,
touchant.
Cette phrase de CCabanes travestie est tirée d'un recueil de 1929, la grande gaîté d'Aragon :
Quand Aragon a
voulu se taire, ne plus écrire, ne plus se sauver, ne plus être en colère, il a écrit également : « Je ne veux plus rêver je déteste. le sommeil je ne veux plus. Rêver. » Ce moment où il a un
chagrin de ne plus être aimé. « elle est morte » la rupture.
Bref avec CCabanes nous prenons un ticket vers des aventures beaucoup plus heureuses et légères, que
ne nous laissaient pas du tout préfigurer l'affreuse couverture du livre difforme.
L'écriture de ce livre est délicate, presque dandy, polie aussi, effleurant les femmes et sous les
jupes, il nous amène avec lui, dans une sorte de road-trip sensuel, hallucinant de vérité. « Premier roman » est écrit assez bêtement en quatrième de couverture, formule enfantine pour évoquer un
homme qui écrit en majuscule, la peau des femmes avec qui il traverse le siècle, à travers elles, il nous raconte beaucoup sur la société.
J'aime le mot « viveuse » page 63, sa grand-mère faisant pipi « au-dessus d'un fagot de sarment » à la
belle étoile, hantée par le dix de pique, celui de la veuve (selon moi puisqu'elle regarde son mari mort) dans le livre : celui de la mort. Cette femme qui regarde le ciel, repasse le linge de
ses voisins. Je vois ses pieds noyés et glissants sous l'urine contrastant avec ses mains blanches amidonneuse. Donneuse ...
Le narrateur, classe ses conquêtes « partenaires de lit » et il en a, en catégories et sous
catégories, dans des boites de velours, il voit et emmène avec lui ce qu'il voit, trie, et lorsqu'il comprend le corps et son fonctionnement de l'une d'elle, passe à une autre. Il passe son habit
de peau, la sienne par les femmes, par le corps des femmes et leur sexe. de ce qu'il reçoit d'elles, de caresses ou non. Les manques d'une sont comblés par l'autre. Les lits sont ses partenaires
autant que ses partenaires humaines. A savoir où il se situe lui ? Peu importe, il est là, avec son regard, ce qu'il dit des autres et de ses combats.
Je résume donc sa citation première : Je passe d'un sexe à l'autre et cela me rend gai : il se
découvre, se recouvre, nous le découvrons. Par elles nous savons ce qu'il est devenu et peut-être un peu ce qu'il deviendra.
Je n'écris pas con, mais sexe, je ne vois pas pourquoi con ? Il n'y a rien de plus intelligent qu'un
sexe de femme, j'en ai un je le sais. Il réfléchit, parle, dit, autant qu'une bouche ou que celui d'un homme, il est aussi imprévisible, aussi tenu, têtu, incroyablement étonnant, résistant et
libre. Il n'obéit à rien de contraint. Con = cunnus = sexe de femme vulgairement. Ah oui vulgaire, con/radical. Il est tout autre et CCabanes l'écrit tout le long de son livre
finalement.
Tu ne jouiras point ! Voilà, tu ne mourras point dans le sexe d'une femme, voici où se place ce mourir
que l'on frôle à chaque mot qui nous hante.
J'aime Anna pour Anna sont amante et Steinbeck parce que mon premier grand livre relu je ne sais
combien de fois, c'est aussi les raisins de la colère.
Pur bonheur les passages de la page 109 à la fabrique d'ado enragé à la page 131, je viens déjà de le
relire deux fois. Magique de bon sens et de exactitudes, c'est régulier, encore ce mot puissant qui me vient.
Il y a tout de rassasié dans ces lignes. Pour Anna le « corps n'est qu'un complexe de fonctions
diverses » ! génial.
« Elle a déterminé trois degrés dans l'échelle de ses émotions » (déjà écrit plus haut que le sexe et
le cerveau sont non par reliés mais ne font qu'une peau). le narrateur a PUISSAMMENT regardé et observé puis compris cela. « le plaisir, la jouissance et l'orgasme ». « Elle se gouverne ainsi ».
Ah làlà un homme qui comprend le corps d'une femme ! Comprendre et presque se prendre pour, car en fond de lame, il y a la mère à qui il écrit chaque dimanche. Cabanes encore est un génie. Cet
oeil espion mate son fils à travers le blanc des mots.
Cabanes donne la voix au sensuel, à ce qui nous parle sans nous parler, nous fait dire sans dire et
nous observe sans que l'on soit observé. Que donne t'on à l'autre en faisant l'amour avec lui ? A part le visible, fluide, bave, sueur etc … ce qui passe par la peau et l'histoire de chacun et de
tous. Tu as intérêt d'y trouver du plaisir, de faire de ce moment quelque chose d'approché (comme la narrateur approche ses conquêtes), ça dure, il n'appuie pas, il laisse le temps tout à la
propriété de l'INSTINCT et de l'instant. Approchant, approche, approcher.
Dans les plis des jupes qui deviennent pantalons, les jambes qui disparaissent des cafés. La société
en mutation, qui abandonne ses pratiques sexuelles et autres, les livres des écrivains du moment, au moment de, au moment de faire l'amour. Que laisse t'on finalement et voudrions garder et
reprendre, qui fait de ce moment souvent un instant de plaisir et de souffrance. Ni l'un ni l'autre facilement effaçable, d'ailleurs chacun raconte à l'autre dans ce livre et font monter la
pression du désir.
Il y a cette scène absolument surprenante tellement le focus nous encercle et emprisonne « on nous
regarde, tous les hommes qui m'ont aimée et toutes les femmes qui t'ont aimé nous regardent … page 169 » ce n'est pas une scène d'amour, on la voudrait bien d'ailleurs tellement elle doit être
déchaînée entre les deux. C Cabanes ne nous l'offre pas, il la suppose, c'est terriblement excitant.
Le regard de ceux d'avant, convoque le « au-delà de » dans ce qu'elle suppose, un peu comme si cette
addition laissait présager la scène ultime, avec en fond d'écran le « j'aime le claquement de vos talons quand vous marchez » renversant, tu entends les talons
et les mots de Cabanes vibrent dans ton corps au moment de la lecture. C'est de l'amour, du sexe de
peau et de plaisir. Cette scène contient les amours cumulés et les futurs, les corps renversés, qui, page 154 « quand vous aurez fermé l'établissement, on ira marcher dans les rues de la ville et
on ira dormir ensemble sans faire l'amour » Faire l'amour sans le faire puisqu'il est là et donc le faire quand même !!!.
Dans ces histoires qu'ils se racontent, les corps se rencontrent : page 161, » tu es jalouse ? Non,
pas assez. J'en veux encore (j'ai envie de mettre un !) » il ne manque juste rien, vouloir juste un instant l'unicité pour ne pas le perdre, le rendre aussitôt pour qu'il puisse peut-être se
représenter. Cruel de le rendre mais, nous y sommes.
C'est quoi un corps à corps : Devenir l'unique à deux pour un moment, pour vivre avec les mots. Un peu
comme dormir la bouche fermée alors même que nos rêves parlent à tue-tête. Jouer, se rejouer le encore, espéré le renouvelé.
« La transcendance est une femme nue qui marche dans la ville sous la pluie ». page
282.
Je suis bien contente d'aimer la pluie et d'avoir lu ce tour de femmes