Dans L'ordonnance respectueuse du vide, les choses, au détriment des êtres, sont bien rangées, dans un ordre qui respecte le vide, omniprésent si j'ose dire, un peu comme un silence peut être assourdissant, cet inusable oxymore, dont d'aucuns, dont je suis, parfois se laissent aller à user et abuser.
Marie-Jeanne Urech situe en effet l'action - ou l'inaction - de son dernier roman dans une localité pratiquement vide d'habitants, au nombre théorique de vingt-six mille, dont la plupart n'habitent pas leurs habitations, vides par conséquent, ornées toutefois d'une boître aux lettres rutilante...
La localité s'appelle Z. Cette petite ville est un chantier permanent où les bois et les prairies cèdent toujours davantage le terrain à une forêt de grues, sortes de vivants piliers penchés sur des édifices en devenir, qui accueilleront le vide, comme l'ont fait leurs prédécesseurs en ce lieu.
Z était naguère inaccessible en hiver. Un glacier, que domine une chapelle, en barrait l'accès. Depuis quelques années, il ne remplit plus cet office. Comme de juste, le réchauffement climatique en est la cause... L'étranger pénètre donc dans Z, sans difficulté, un 15 février...
(Les quelques citoyens du lieu ont demandé au Pape d'intercéder auprès du Créateur pour qu'il rétablisse le glacier dans sa fonction...)
Artisan-meublier l'étranger est convaincu que la petite ville a besoin de lui pour meubler tous ces édifices vides et que Z sera pour lui un véritable petit paradis sur Terre, où il pourra fortune faire, après avoir pris pour enseigne le nom de Modeste que lui a donné, il le jurerait, la patronne de la Croix d'Or, sa maîtresse d'une nuit.
Les autorités de Z sont représentées par un personnage au genre indéterminé. Pour les quelques réels habitants, bien mal lotis, de la petite ville, il est le Mairesse, un nom, nous dit l'auteur, en forme de compromis, tout à fait propre à désigner ce personnage, dont le sexe ambigu est dissimulé derrière une médaille.
Le constructeur du vaste complexe immobilier de Z est Monsieur Island, au nom aussi glacial que lui. Pour des raisons obscures, qui, à la fin, deviendront lumineuses pour ceux qui ne les auraient pas devinées avant, Island est considéré par le Mairesse comme le bienfaiteur de sa petite ville, auquel il faut donc rendre hommage en tous temps.
Un endroit cependant résiste encore à l'occupation des terrains de la commune par le bâti. C'est un couvent, qui, jadis, comptait huitante moniales et qui possède la dernière prairie. Les unes après les autres, les moniales disparaissent de ce monde et la Mère supérieure attend, semble-t-il vainement, que de jeunes recrues prennent la relève...
Le décor ainsi planté, les protagonistes ainsi décrits, le récit peut se dérouler en prenant les allures et le ton d'un conte, dont l'issue ne peut qu'être apocalyptique, pour rester dans l'air du temps. Le pire y est en effet sûr, en dépit de tous les efforts prodigués par Modeste pour combler un vide, dont on sait, depuis Aristote que la Nature a horreur.
Tout n'est pas sombre dans cette histoire édifiante. Modeste rencontre Elytre, qui sera la couleur de son âme et son avenir, comme toute femme l'est pour l'homme selon le poète. Son amour pour sa bien nommée, lui donnera même des ailes le moment venu de s'éclipser. Tout n'est pas sombre non plus parce que Marie-Jeanne Urech est volontiers ironique et que, de ce fait, l'adjectif satirique convient bien à son conte d'aujourd'hui.
Francis Richard
L'ordonnance respectueuse du vide, Marie-Jeanne Urech, 184 pages, L'Aire
Livre précédent chez le même éditeur:
Le train de sucre (2012)