Malgré les inondations dans le Litoral (le nord-est)
et les procès qui grossissent contre la famille Kirchner
l'affaire est en une de Clarín ce matin
à droite, en haut de la colonne.
En manchette, à droite, en haut, la couverture de la Revista Ñ,
dont je vous parle dans un autre article de ce jour
Presque tous les journaux et tous les courants politiques, de la majorité comme de l'opposition, s'en étaient fait joyeusement l'écho sur leur site Internet t via les réseaux sociaux en fin de journée, avant-hier, jeudi, au milieu des préparatifs de fête, puis tout au long de la journée de Noël, hier, alors qu'aucun journal ne paraît en Argentine : une des fondatrices de Abuelas de Plaza de Mayo, aujourd'hui éloignée de l'association, avait retrouvé sa petite-fille, montant ainsi à 120 le nombre de personnes volées en bas-âge pendant la dictature et identifiées, une fois adultes dans leur immense majorité, et capables de reprendre contact, de leur plein gré, avec leur famille de naissance. La femme s'était présentée chez sa supposée grand-mère vers midi avec en main le rapport biologique d'un laboratoire privé de Córdoba affirmant le lien de parenté entre elles deux à 99,9 % de certitude (il n'y a jamais 100 %).
Mais l'information était fausse : l'analyse brandie par cette femme relevait de conclusions erronées. C'est ce que la Justice argentine, qui a travaillé d'arrache-pied hier, malgré le jour férié, a fait savoir à la grand-mère qui s'était réjouie trop vite. Même Mauricio Macri s'était associé à la liesse, ce 24 décembre, et leur avait souhaité à toutes les deux un joyeux Noël (1), prenant officiellement la parole pour la première fois sur ce terrain et, qui plus est, en sa qualité de Président de la Nation (il n'avait jamais réagi sur la question dans ses fonctions électives antérieures et c'était pour lui une occasion importante de lever les derniers doutes qu'on pourrait conserver du côté ONG des droits de l'Homme sur ses positions par rapport à l'intangibilité de ces droits et à la légitimité des recherches sur les conséquences présentes des crimes de la dictature passée).
Or la grand-mère piégée par cette fausse bonne nouvelle n'est pas n'importe qui : elle a connu, au sein de l'association qu'elle a créée, Abuelas de Plaza de Mayo, soixante-six identifications d'enfants disparus. Et c'est elle qui a remué ciel et terre pour obtenir la mise en place des techniques d'analyse ADN pour identifier ces enfants devenus adultes, avant de se brouiller définitivement avec l'organisation et de l'abandonner pour fonder sa propre institution.
Reste à s'interroger sur les raisons pour lesquelles une nonagénaire qui en a vu d'autres a cru, si rapidement et sans prudence, à une annonce aussi théâtrale et pour lesquelles une femme de quarante ans s'est adressée à un laboratoire privé au lieu de s'en tenir à la procédure légale : prélèvement réalisé par le Banco Nacional de Datos Genéticos (BNDG), qu'elle avait fait faire en mai dernier, analyse par les spécialistes de cet organisme, le seul agréé par la Justice pour ces opérations, et remise des résultats à l'autorité judiciaire qui convoque alors les partis prenantes et leur communique des informations fiables. En mai 2015, les analyses n'avaient abouti à aucun résultat, le profil génétique de cette personne ne correspondant à aucun de ceux que les familles affectées par la tragédie collective avaient confiés à cet organisme centralisateur. Ce dont cette personne a été informée par la voie officielle le 25 juin dernier. Six mois plus tard, dans ce moment symboliquement si particulier de la Nativité, elle a donc pris l'initiative de s'adresser malgré tout à un laboratoire privé qui lui aura peut-être donné la réponse qu'elle espérait ou qu'elle désirait. Encore a-t-il fallu qu'elle obtienne l'aide de sa grand-mère putative, sans quoi il eût été impossible à ce laboratoire de procéder à quelque comparaison que ce soit, et il semblerait bien que cette dame ait été victime dans cette affaire, puisque son porte-parole affirme que la prétendue petite-fille ne l'avait pas informée qu'elle avait reçue une réponse négative du BNDG.
A la une de La Nación, un peu moins de place mais tout de même...
L'affaire est traitée en bas à gauche.
Dans un cas comme dans l'autre, cliquez sur l'image pour une haute résolution
Il en ressort qu'il est impératif de maintenir un dispositif de service public, de ne surtout rien privatiser en la matière comme cela avait été suggéré du côté macriste (2) avant l'élection (3) et de laisser en place ce qui existe, qui a déjà fait ses preuves et dont une partie du personnel vient de démontrer sa conscience professionnelle en sacrifiant son Noël pour réaliser de toute urgence de nouvelles vérifications, dans les archives et les tubes à essai, afin de faire la lumière sur cette surprenante identification.
L'annonce que les deux femmes ont faite en privé, à la veille de Noël, avec publication de photos les montrant ensemble, par le biais de la fondation personnelle de Chicha Chorobik de Mariani, baptisée du nom de sa véritable petite-fille, [Clara] Anahí, avait court-circuité la traditionnelle conférence de presse tenue qui suit chaque identification au siège de Abuelas, qui est en quelque sorte l'organisme central où se croisent toutes les procédures. Conférence de presse qui avait été annoncée à la suite de ce scoop comme devant intervenir lundi prochain, après ce très long week-end férié. Il est possible que cette péripétie douloureuse relève d'une simple coïncidence entre deux immenses désirs d'amour frustré, deux terribles tragédies personnelles d'une femme cherchant sa petite-fille et d'une autre, peut-être quelque peu mythomane, cherchant une grand-mère ou une autre famille, comme il n'est pas impossible qu'il y ait là-dessous une conséquence, pitoyable, du conflit qui oppose Chicha Mariani à son ancienne association, Abuelas, dont elle fut l'une des présidentes, une trace de la querelle du transfert, il y a quelques mois, du Banco Nacional de Datos Genéticos (BNDG) depuis l'hôpital, où il avait été fondé, vers un ministère national, transfert soutenu par Abuelas et son actuelle très médiatique présidente, contre une partie de l'opposition d'alors qui y voyait la soumission de l'organisme au caractère partisan du Gouvernement (4), ou qu'il y ait eu, et ce serait plus grave mais cela reste heureusement peu probable, une manipulation, véritablement odieuse, de la part d'on ne sait qui, pour que l'incident serve à de véritables fins politiques, nécessairement ignobles dans de telles circonstances.
Cependant le collaborateur de Chicha Mariani, qui a signé le nouveau communiqué de la fondation Anahí, réaffirme, comme il l'avait déjà laissé entendre avant-hier, la légitimité du BNDG pour mener tous les tests recevables en justice. Il donnera aujourd'hui, vers midi, une conférence de presse au domicile de la grand-mère abusée, en présence de celle-ci. A quatre-vingt-douze ans, le moins qu'on puisse dire est que cette femme ne manque pas de courage !
Pour aller plus loin : lire l'article d'avant-hier dans Clarín, annonçant la bonne nouvelle lire l'article de Página/12 sur le même sujet dans l'après-midi du 24 décembre lire l'article de La Nación sur le tweet de Mauricio Macri lire l'article de ce matin dans Página/12 lire l'article de Clarín lire l'article de La Nación lire l'article de La Prensa
(1) "Joie pour l'identification de la 120ème petite-fille. C'est un triomphe de la recherche de la vérité et la défense du droit à l'identité. Je veux souhaiter à Chicha Mariani, à sa petite-fille et à toute leur famille un joyeux Noël de retrouvailles". Le Président, dans ce message en deux tweets, avait pris soin d'employer les expressions mêmes utilisées par Abuelas et le vocabulaire de ceux qui les soutiennent habituellement : "recherche de la vérité" et "droit à l'identité". Il reprenait donc à son compte ce combat, qui devrait être celui de toute la Nation et ne l'est toujours pas vraiment (encore que les choses aient notablement évolué depuis l'identification, en août 2014, de Guido Carlotto, aujourd'hui Ignacio Guido Montoya Carlotto). On peut interpréter en mal cette réaction officielle en estimant qu'il s'agit d'une récupération. On peut aussi y voir l'effort de l'homme d'Etat pour assumer l'intégralité des aspects de la vie du pays et pour dépasser les clivages qui ont été entretenus jusqu'à présent d'un accord tacite entre tous les Argentins. Et il est vrai que c'était tout de même très commode jusqu'à ce jour qu'il y ait pour chacun des deux camps en présence des bons et des méchants, aux rôles interchangeables en fonction de l'endroit où l'on se tenait sur l'échiquier politique. Espérons que la deuxième hypothèse est la bonne. (2) Mais si ma mémoire ne me trompe, cela n'a jamais été évoqué par Mauricio Macri lui-même, qui a bien tenu des propos inquiétants pour les militants des droits de l'Homme mais d'une autre nature. C'était une déclaration beaucoup plus générale et qu'il a balayée d'un revers de main au lendemain de son élection. (3) sous prétexte que l'organisme coûtait trop cher à l'Etat pour des affaires relevant, prétendait-on, du droit privé. Comme si, dans un Etat de droit, l'identité d'une personne et la filiation étaient des affaires privées ! Cela reviendrait à nier le progrès pourtant indéniable qu'a constitué dans nos sociétés l'institution d'un Etat Civil qui enregistre tout cela et sécurise donc les données autant qu'il est possible de le faire et dont l'absence ou l'inefficacité pénalisent tant les Etats de l'ONU qui ne s'en sont pas encore dotés. (4) Toujours cette confusion dont je parle souvent ici et qui existe chez presque tous les Argentins entre Etat et Gouvernement, entre structure légale et immuable de la Nation organisée et contingence de la vie politique soumise à des scrutins qui se suivent et ne se ressemblent pas et qui donnent le pouvoir tantôt à un camp politique tantôt à un autre.