Le temps des certitudes est révolu depuis 1903 ( Relativité, psychanalyse, cubisme), le temps des incertitudes est anxiogène depuis toujours.
Le temps des cohérences par rapport à ce qui nous habite et nous préoccupe, est celui que nous souhaitons jouer et promouvoir.
Il s’appuie sur des quasi-certitudes, des ancrages, suggère Danièle Rousseau et sur une aptitude à faire face aux incertitudes et donc à élargir notre champ de vision. Les incertitudes ont à voir avec ce que je ne prends pas en compte et donc vient me déstabiliser inutilement, ce qui n’est pas le cas de l’imprévu, auquel je peux faire face sans problème si je suis disponible.
La cohérence, c’est la capacité à mettre en dialogue « tous » les échelons de la réalité, à embrasser le tout et les parties, à jouer du sujet et de la situation, disions-nous l’année dernière.
C’était juste la veille de ce terrible massacre de Charlie le 7 janvier, qui secoua la France sauf les zombies-sociologues à la Todd. Cela me priva de la compagnie d’amiEs cherEs, de belles âmes libres et généreuses comme Bernard Maris et Elsa Cayat. Je restais prostré pendant trois semaines. Je remercie Riss d’avoir refusé mon projet de tribune sur l’écologie positive de terrain dans le Monde, sinon j’aurais peut être croupi des mois dans une chambre d’hôpital, comme ce magnifique journaliste qu’est Philippe Lançon dont les chroniques ont ému nombre de gens. En tout cas, bravo à Cyril Dion et Mélanie Laurent d’avoir fait ce film « Demain ». sur l’écologie de l’espoir. Et bravo à à Frédéric Laloux d'avoir fait ce travail sur les organisations non hiérarchiques.
J’ai regardé avec plus de distance les attentats du 13 novembre, comme si je m’y attendais, comme si j’avais besoin de me protéger de ces fous furieux dont les actes, in fine, arrangent malheureusement plutôt bien des politiques à bout de souffle, pas mécontents de faire comprendre qu’il ne fallait pas trop se plaindre eut égard à cela. Difficile de s’empêcher de penser qu’« on » a manqué de vigilance. Difficile de réaliser que nous avons toutes et tous une part de responsabilité.
Les problèmes de notre monde ont des racines si profondes que penser les résoudre en braillant est au minimum une mauvaise plaisanterie, au pire un repoussoir pour quiconque pense un peu.
On réalise par exemple, que la violence est très liée à la sédentarisation des humains, pas particulièrement au capitalisme, mais bien à la façon dont l’appropriation de morceaux de planète pour y asseoir une sécurité relative a engendré un autiste profond.
Aujourd’hui d’autres formes de violence sont liées à des rejets de la République par des fondamentalistes religieux. Point qui est nié par une partie de la gauche et fait le jeu du F.N.
Je suis sensible au découragement devant l’ampleur de la tâche, devant le cauchemar de cette France bureaucratisée, sclérosée, ayant peur de tout, au bord de la crise d’apoplexie, submergée par une crise d’épilepsie comme le suggère Lionel Naccache.
Or je sais que la tristesse n’appartient qu’à ceux qui détestent ce qui les habite.
Ainsi chaque crise est l’occasion de mieux formuler ce qui m’habite, c’est la condition pour en sortir grandi.
Pour que demeure la possibilité d’une conscience, disait Patrick Boucheron, lors de sa magnifique leçon inaugurale du Collège de France, « il nous faut du repos, de la diversité et de la liberté ».
Le repos est sans cesse menacé par le bruit incessant des échanges sur le WEB.
La diversité est la question du sujet et de son apport à l’aventure de la conscience.
La liberté est le mythe qui nous sort du religieux et qui vient rappeler que nul ne peut s’affranchir des contraintes.
Les quasi-certitudes que nous avons mentionné et nous permettent de vivre la cohérence sont toujours de trois ordres imbriqués les uns dans les autres :
Les faits, leur traitement et leur interprétation.
Ces ordres se déploient sous trois questions :
De quoi d’agit-il ? De quelles façons je traite ce que je perçois et à quoi cela sert ?
Elles constituent la cartographie qui nous permet de nous orienter en toute circonstances, d’évaluer ce qui se passe et nous réguler le cas échéant.
Est ce que je fais, dis, pense, ressent est en harmonie avec mon projet, si oui je continue sinon que faut-il changer chez moi pour que faire ce peut.
En tentant d’écouter les soubresauts de la planète, le tumulte des mots, les zones de tremblement de terre, on y voit le cortège criant des pauvretés, les cyclones de pollution, l’inégal traitement des difficultés ; on y entrevoit aussi la force des blessures familiales qui devraient faire l’objet d’une attention toute particulière, la difficulté à relativiser.
Ces blessures qui nous empêchent de faire la paix avec notre histoire familiale, ne permettent pas de « stopper le monde » qui est la première étape des sagesses indiennes, revisitées par Castaneda. L’impeccabilité prônée par ces sagesses, forme possible de la cohérence, consiste à faire le mieux qu’on peut à chaque étape et à ne pas tricher avec les incohérences.
Les étapes que nous avons à franchir face à une situation difficile sont les mêmes qu’un chemin de guérison suite à une grave maladie.
- Accepter le diagnostic, refuser le pronostic.
- Recadrer la catastrophe en la pensant comme une opportunité.
- Prendre sa part de responsabilité.
- S’autoriser à s’estimer soi-même.
- Elaborer un objectif fort.
- Comprendre les symptômes.
- Croire qu’on est capable d’atteindre l’objectif.
- Eliminer les ressentiments.
- Vivre dans le présent.
- Puiser dans ses qualités, réduire les dépendances.
- Se connecter avec une forme de transcendance.
- Vivre sans nier les autres.
Permettez moi de terminer par une question, celle de l’année 2016 : que mettre en place pour être plus nombreux à défendre ces préoccupations?