L'indignité présidentielle est-elle donc congénitale ?
L'indignité maintenant, la francisque pour demain.
Qui la décernera ?
Ces 15 154 Français que le régime de Vichy a dénaturalisés
Écrit par Alix Landau-Brijatoff | publié le 25/05/2013 à 18h15
À travers le parcours de quelques figures marquantes qui ont eu à subir l’infamie de la perte de nationalité - Marc Chagall, Serge Gainsbourg, René Cassin, Ève Curie, Jean Daniel, Jacques Derrida… -, c’est l’histoire de toutes les victimes qui est racontée dans Indignes d’être Français - Dénaturalisés et déchus sous Vichy, d’Alix Landau-Brijatoff. Mais c’est aussi l’histoire de ces trois lois et de ceux qui les ont édictées et consciencieusement mises en application, sans être inquiétés à la Libération. Les 15 154 dénaturalisés nous renseignent donc sur l’État français d’hier, d’aujourd’hui et peut-être de demain. Car la nationalité française et son acquisition restent l’objet de polémiques permanentes, mais aussi d’une certitude : "elle ne se mérite pas".
Comme l’énonce Denis Olivennes dans sa préface, "l’un des mérites du présent livre est de nous rappeler combien la conception ouverte de la patrie est au cœur de l’identité française. Il est bon que cela soit souligné en un temps de crise économique et de doute national si propice à l’oubli de nos valeurs fondatrices".
Extraits de Indignes d’être Français, d’Alix Landau-Brijatoff (BUCHET CHASTEL)
Les 15 154 dénaturalisés entre 1940 et 1944 sont le sujet principal de ce livre : ils sont "retrayés" – mot issu du Moyen Âge, adjectif de droit relatif au retrait de "droits litigieux" selon le Code civil, et plus précisément à la loi du 22 juillet 1940[1] instaurant une "commission de révision des naturalisations". Ce sont les naturalisations intervenues depuis la loi du 10 août 1927 : environ 900 000 personnes sont concernées.
Les 468 déchus de leur nationalité seront également évoqués : les Français de souche "ayant quitté le territoire national entre le 10 mai et le 30 juin 1940" – loi du 23 juillet 1940, ainsi que les lois du 10 septembre 1940 et du 28 février 1941.
Enfin la loi du 8 mars 1941, permettant la déchéance de ceux "qui trahissent les devoirs incombant aux membres de la communauté nationale, ou encore se rendant à l’étranger sans autorisation gouvernementale".
Il en va de même des 110 000 juifs algériens collectivement déchus de leurs droits à la citoyenneté française, c’est- à-dire ramenés de l’état de citoyen à celui de sujets, d’indigènes, par l’abolition (loi du 7 octobre 1940) du "vieux" décret Crémieux, décret no 136 du 24 octobre 1870, qui accorde d’office la citoyenneté française aux juifs d’Algérie. Ils subiront alors de nombreuses vexations : 18 000 enfants seront exclus des écoles publiques et 2 000 personnes seront enfermées dans des camps de travaux forcés.
Ces trois lois constituent le premier volet de la refonte de la nationalité française.
Il s’agit de :
– revenir rapidement sur les naturalisations, rectifiant les "errements" responsables de la décadence et de la défaite françaises ;
– réduire le nombre de naturalisations par des conditions drastiques (durée de séjour, critères et qualités des admis) ;
– bâtir surtout un nouveau code de la nationalité.
La nouvelle législation est mise en chantier dès l’installation du gouvernement en juillet 1940. Elle est non aboutie en 1944, après des travaux incessants du ministère du Sceau, interventions innombrables des théoriciens (Mauco, Benoît, etc.), des autres ministères (Affaires étrangères, Intérieur), des cabinets de Laval et Pétain, du CGQJ (Commissariat général aux questions juives), et bien sûr des autorités allemandes en France et à Berlin.
L’auteur principal de ces trois lois est le premier ministre de la Justice et du Sceau de Vichy, Raphaël Alibert, maurrassien et antisémite violent, considéré comme "fou" par certains de ses collègues du gouvernement de Vichy[2]. Il présente les lois, les met en place, tout comme les textes qui suivent sur le statut des juifs et autres textes raciaux. Condamné par contumace, puis amnistié par de Gaulle, il meurt tranquillement dans son lit en juin 1963. Ces lois sont consanguines dans l’esprit des auteurs, mais répondent à des objectifs différents.
Les dénaturalisations : la loi du 22 juillet 1940 vise certes à revenir sur "le laxisme" de la IIIe République, mais surtout à mettre en œuvre les tendances de fond (politiques, sociales, culturelles) réactionnaires, xénophobes et antisé- mites portant sur la nationalité, telles que développées tout au long des années 1930. D’inspiration fortement maurrassienne, ce texte inaugure et concrétise ce que la droite dite "nationaliste" dénonce depuis la loi de 1927 et ses consé- quences : l’afflux de "Français de papier". Les coupables de la décadence française et de la défaite sont les étrangers, les juifs, les communistes, les francs-maçons. Ils sont indé- sirables, indignes d’être français. La débâcle, l’arrivée du maréchal Pétain, l’armistice, la capitulation, l’occupation nazie et la Collaboration ont pu les autoriser, les faciliter.
L’objectif prioritaire et urgent de Vichy – mais non atteint – est la refonte complète du code de la nationalité. Son caractère racial ou raciste est indiscutable, tant dans les textes de Georges Mauco qui les inspire, que dans les nombreuses lois raciales inspirées des lois nazies promulguées dès 1933. Certaines d’entre elles seront même autochtones et devancières. Elles sont mises en œuvre dès 1940.
Alix Landau-Brijatoff est née le 20 avril 1942 à Perpignan. Elle est la troisième fille d’Adolphe-Abraham Landau et de Bluma Katz-Jankelovitch, deux communistes émigrés de leurs pays d’origine (Pologne et Lettonie) dans les années 1920, naturalisés dans les années 1930, dénaturalisés en 1943. Docteur en psychologie sociale, elle est également romancière.
[1] Elle est précédée d’une première loi le 16 juillet 1940.
[2] Témoignage de Paul Baudouin, ancien ministre des Affaires étrangères devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, en 1948. AN.C//18433.
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