Montagsdemo à Leipzig 9octobre 1989
Ce n’était pas venu d’un coup… L’effondrement de l’Allemagne de l’Est, de l’ancienne République Démocratique Allemande. Il est facile après coup de mettre en avant les faiblesses du pays et de son régime. Mais à l’époque, la RDA était présentée comme l’élève modèle du camp socialiste, celui dont l’économie avait le mieux réussi. En tant que journaliste, correspondant de TF1 en Allemagne, nous n’en avions qu’une connaissance très partielle, au gré de reportages effectués toujours sous strict contrôle. Il fallait envoyer au Ministère de l’Information une liste très précise de sujets, de lieux de tournages, d’interlocuteurs souhaités. Il fallait jouer avec ce que l’on savait des interdits, des tolérés. Et l’on nous imposait des visites de grands « Kombinat » industriels, qui nous épouvantaient avec leurs kilomètres de tuyaux et de machines rouillées, pourtant fiertés du régime. Epouvantables aussi ces mines de lignite à ciel ouvert, qui engloutissaient forêts et villages dans la région de Bitterfeld ou de Guben, déprimants ces « Palaces » que l’on nous imposait, payables en monnaie de l’Ouest évidemment, et très chers, mais qui n’étaient le plus souvent que des blocs de béton, surchauffés en hiver et où le vent soufflant à travers les portes et fenêtres mal isolées, soulevait les rideaux pratiquement à l’horizontal. Peu ou pas de contacts avec la population. L’opposition ? Quelle opposition ? Nous n’avions accès qu’à des interlocuteurs « officiels » triés sur le volet, et de manière exceptionnelle, à quelques personnalités, qui en raison de leur réputation internationale, servaient indirectement de caution au régime. Ils se gardaient bien d’ailleurs d’être trop ouvertement critiques et leurs interviews étaient décevantes, comme celles avec l’écrivain Stefan Heym, qui avait fait la seconde guerre mondiale dans l’armée américaine, mais qui avait choisi par adhésion au communisme de s’installer à Berlin-Est. Ou encore avec Kurt Masur, qui jusqu’à l’automne 1989, n’était pas considéré comme critique à l’égard du régime. C’était une personnalité difficilement joignable , qui partageait sa vie entre son « bébé », la nouvelle salle de concert du « GewandtHaus » de Leipzig et Paris, New York, Salzbourg.C’est dans sa ville de Leipzig justement que nous avions pu, pour la première fois, rencontrer une autre Allemagne de l’Est. A l’occasion des foires de Leipzig, le gouvernement octroyait des visas de quelques jours afin que la presse étrangère puisse faire des reportages sur cette vitrine des performances économiques des pays de l’Est. Quelques jours de relative liberté où nous n’étions pas encadrés par des « interprètes », et où entre deux visites de stands de machines-outils nous pouvions aller nous balader dans les rues de la vieille ville. Jusqu’à ce Lundi 4 Septembre 1989, où nous avions pu assister avec surprise à un bien curieux office dans l’Eglise Saint-Nicolas. A partir de 18 heures, les lectures pastorales laissèrent la place à des appels à la Paix, à la non violence, à la liberté. Pas d’attaques directes, mais dans cette église portes ouvertes où l’on entrait et sortait, il se passait quelque chose. Il fallait être prudent, la Stasi, la police politique, était là en civil, à qui faire confiance ? Alors tous les Lundi, nous sommes revenus, « clandestinement ». Depuis Berlin-Est, où nous étions supposés passer la journée, nous foncions pour nous retrouver dans l’Eglise Saint-Nicolas, avec des caméscopes, à 18 h00. Nous repartions dans la soirée, pour retourner à tout allure sur Berlin et repasser le « check point Charlie » avant minuit…Et de Lundi en Lundi, ces « Montagsgebete », ces « prières du Lundi », ce sont transformées en « Montgsdemo », en « manifs du Lundi », de plus en plus importantes, et de plus en plus dangereuses. Difficile en effet de distinguer entre le vrai manifestant et le provocateur en civil de la police, qui infiltré dans la foule, pouvait vous frapper par derrière, ou vous éloigner de quelques mètres afin de vous arrêter plus facilement. Au début, les manifestants ne faisaient que le tour de l’Eglise, puis le tour du quartier, jusqu’au Lundi 9 octobre où là vraiment il y avait plusieurs dizaines de milliers de personnes, avec ces slogan « Keine Gewalt » »pas de violences » Et déjà :« Liberté de voyager » « Ouvrez le mur ». Montés au sommet d’un immeuble, nous avions pu voir la foule qui avait envahi le centre ville avant de sortir en cortège sur les boulevards devant la salle de concert du GewandtHaus. Et là, comme sorti d’un autre monde, apparut un colosse barbu « C’est Kurt Masur, dit la foule ». Il marchait calmement au devant des banderoles, avec à son bras son épouse la soprane japonaise, Tomoko Sakurai.Pas d’interview avec lui, pas de déclarations de sa part, mais sa seule présence était en soi une surprise, lui qui n’était pas connu jusque là pour être critique du régime. De Lundi en Lundi, l’Allemagne communiste se mit à craquer, jusqu’à ce jeudi de novembre où le mur à Berlin finit par être ouvert. Kurt Masur fit partie de ces personnalités qui évitèrent sans doute le bain de sang. 25 ans plus tard, Leipzig est métamorphosée. La ville grise, étouffant dans le brouillard jaunâtre de lignite est devenue une belle ville, rénovée, dynamique. Le Gewandthaus, l’Eglise Saint-Nicolas, la chorale de l’Eglise Saint-Thomas où composa un certain Jean-Sébastien Bach, attirent les foules de touristes. Il y a de nouveau des « Montagsdemo » mais elles ne réclament plus l’ouverture des frontières, mais au contraire, organisées par Pegida, comme dans la ville voisine de Dresde, leur fermeture et l’expulsion des étrangers. Exactement l’inverse de ce que réclamaientles manifestants autour de Kurt Masur ce Lundi 9 octobre 1989, à Leipzig. Nous vivons une e-poque formidable