Titre original : The Knick
Note:
Origine : États-Unis
Créateur : Jack Amiel, Michael Begler
Réalisateur : Steven Soderbergh
Distribution : Clive Owen, Andre Holland, Jeremy Bobb, Eve Hewson, Juliet Rylance, Michael Angarano, Chris Sullivan, Cara Seymour, Eric Johnson, Matt Frewer, Maya Kazan…
Genre : Drame
Diffusion en France : OCS
Nombre d’épisodes : 10
Le Pitch :
Toujours soigné dans un établissement aux méthodes peu orthodoxes pour contrer sa dépendance à la cocaïne, le Docteur John Thackery a développé une forte addiction à l’héroïne. Au Knick, le Docteur Algernon Edwards est nommé provisoirement chef du service de chirurgie, afin de remplacer Thackery. Une nomination qu’il espère permanente, même si il faudra pour lui également compter sur les nombreuses voix qui s’élèvent en défaveur de la montée en grade d’un homme de couleur. Everett Gallinger tout particulièrement, qui se rapproche du mouvement de l’eugénisme.
Alors que la vie suit son cours à l’hôpital le Knickerbocker, entre innovations et manigances, certains voient leur vie bouleversée, à l’image de la Sœur Harriet, qui doit faire face à de graves accusations, épaulée par Tom Cleary ; de Lucy Elkins, dont la vraie nature de va pas tarder à se dévoiler ; ou encore de Cornelia Robertson, plus que jamais en proie à terribles doutes, et dont les recherches vont la mener sur une piste des plus délicates…
La Critique :
Plus qu’une simple série, à l’image de nombreuses productions modernes brillants par leur ambition, The Knick s’est vite imposée comme une fresque terriblement exigeante et fascinante à plus d’un titre. Sorte de version post-victorienne et âpre d’Urgences, le show a d’emblée savamment joué sur les caractéristiques de son contexte historique, en tablant notamment sur les innovations techniques. Qu’elles soient propres à la médecine ou pas (l’usage courant de l’électricité par exemple). Portée par les deux showrunners, Jack Amiel et Michael Begler, la série a également pu compter sur le réalisateur Steven Soderbergh, qui réalisa tous les épisodes de la première saison, juste après avoir annoncé son départ à la retraite. Une retraite loin des plateaux de cinéma mais pas du petit écran, où le cinéaste a retrouvé une certaine liberté. En toute logique, Soderbergh a donc rempilé pour le second acte, retrouvant les couloirs du Knickerbocker, cet hôpital new-yorkais en proie aux tourments de son époque et de ses occupants.
Impressionnante à plus d’un titre, la première saison se terminait sur un plan ironique au possible, ouvrant sur des perspectives plutôt sombres concernant le personnage central, à savoir John Thackery, campé avec une justesse absolue par Clive Owen. À son image, c’est à dire celle d’un homme torturé, dévasté, mais absolument génial et visionnaire, les autres protagonistes semblent plus que jamais nager à contre courant d’une société dans laquelle ils sont, chacun à leur façon, considérés comme des parias, quand bien même ce n’est parfois pas immédiatement clair. Le deuxième acte va ainsi plus loin et creuse un peu plus la psyché d’hommes et de femmes pris en étau devant des choix cornéliens. Philosophique si il en est, The Knick sait, malgré son exigence, ici renouvelée, inclure le spectateur afin de l’immerger dans une ambiance réellement particulière. Car la série fait partie de celles dont les caractéristiques et l’image ne souffrent d’aucun demi-mesure. Seul maître à bord concernant la mise en image et la direction des comédiens, Steven Soderbergh est parvenu à créer un univers torturé, par lequel il est étrangement simple de se laisser happer. On sait alors dès les premières minutes de la saison 2, que Soderbergh n’a rien lâché. À l’arrivée, au terme de ces 10 nouveaux épisodes éprouvants, il est clair que la série fait davantage office de grand long-métrage. Au montage, mais aussi à la photographie (sublime), qui rappelle d’ailleurs celle de quelques-uns de ses films, comme Traffic, avec ses filtres de couleurs et ses ambiances bien démarquées les unes des autres, Soderbergh est partout. Le travail accompli est monumental, ne serait-ce qu’au niveau de la forme. Une impression renforcée par la musique toujours aussi enveloppante et délicieusement anachronique de Cliff Martinez.
Et si The Knick réussit à conserver, voire même à affiner, les contours et l’identité graphique d’une ambiance unique, même si elle est clairement nourrie de nobles influences ; la série a également tout juste au niveau du scénario. Un script qui sait resserrer le cadre, en profitant de notre connaissance des principaux personnages. Peut-être encore moins manichéenne que la première saison, cette nouvelle livraison ne nous épargne rien quant aux errances de Thack et de ses collègues. Pourtant, alors que beaucoup de séquences contribuent à établir un marasme ambiant, qui est néanmoins, tout sauf rédhibitoire, d’autres entretiennent une émotion très touchante. C’est notamment sur ce plan que la saison 2 apparaît encore supérieure à la première. L’arc narratif articulé autour de Cleary l’ambulancier et de Soeur Harriet touche par exemple en plein cœur, tout comme les conséquences et les implications de l’enquête menée par Cornelia, dont la condition alimente au passage la pertinente réflexion féministe de la série. Et cela sans oublier l’histoire de d’Edwards, le seul médecin noir du Knick, qui illustre la volonté des scénaristes et des showrunners de continuer à faire de leur série, une œuvre militante, sans sombrer dans les méandres d’une réflexion toute digérée.
The Knick trouve tout compte fait son identité dans sa propension à demeure intègre. Elle ne fait pas partie de ces série consensuelles. Les images sont parfois dures. C’est gore, le sexe n’est jamais simplement suggéré, et les personnages en prennent souvent plein la poire pour pas un rond. De plus, l’humour est quasiment absent de l’équation. C’est ainsi que, dans sa globalité, le show brille autant par la pertinence de son propos et de sa mise en image. Chaque plan paraît pensé jusqu’au moindre détail, et l’histoire, pleine de rebondissements, ne cède pas à la facilité.
Résultat : The Knick passionne et secoue. Il s’agit d’une série unique en son genre. Un constat renforcé par l’interprétation des acteurs, tous absolus de justesse. Clive Owen bien sûr, le chef, qui livre une performance hallucinée et viscérale, digne de son talent (son meilleur rôle ?), mais aussi la surprenante Eve Hewson, qui prend son envol dans ce nouvel acte en apparaissant plus vénéneuse et séduisante que jamais. L’excellent Andre Holland impressionne lui aussi plus qu’à son tour, tout comme le duo formé par Cara Seymour et Chris Sullivan, pour ne citer qu’eux.
Ne reculant pas à mettre en avant des caractères souvent détestables et bien trempés, qui ailleurs auraient découragé le spectateur d’éprouver la moindre empathie, The Knick n’y va pas avec le dos de la cuillère. Jusque au bout, avec dans le cas présent un dénouement qui, au sens propre comme au sens figuré, prend littéralement aux tripes.
On ne sait pas pour l’instant si la série sera renouvelée par Cinemax (la chaîne qui produit et diffuse aux États-Unis) pour une troisième saison. Il est vrai que l’histoire, si elle se termine néanmoins par des points de suspension, semble se conclure. Beaucoup de choses restent à régler, mais en l’état, la cohérence du final apparaît dans toute sa justesse. En ayant accompli l’exploit de faire encore mieux, Steven Soderbergh et son équipe ont imposé un niveau d’excellence face auquel il est quasiment impossible de rester indifférent.
@ Gilles Rolland