On avait découvert Alice Darc en apprentie sorcière, option magie sexuelle, en 2001. Aujourd’hui, l’héroïne de Jean-Marie Arnon est sorcière à part entière et nous revient avec ce quatrième album. Elle est toujours accompagnée de son loup-garou familier, Rex Inferior (toute ressemblance avec le défunt chanteur des Cramps n’est absolument pas fortuite), et continue de combattre les maux de la société contemporaine. Mais, comme elle n’a pas pu choisir entre le bien et le mal, elle se veut en même temps le dernier rempart contre les forces occultes qui tentent d’envahir le monde. Et elle en a du travail la pauvre Alice ! Pour les turpitudes terrestres, elle dirige une petite entreprise d’exorcisme par le sexe, où chacun peut venir, au choix, s’avilir ou se racheter, selon sa propre perception de sa faute morale. Comme cette avocate néo-puritaine de gauche qui culpabilise d’avoir jeter à la rue sa fille, lesbienne d’extrême-droite, en devenant le jouet sexuel de Rex. Ou ce journaliste du « Monde diplomatique », aux convictions antilibérales, qui voit ses certitudes ébranlées quand Hollywood, le « cœur de la bête », lui propose de racheter les droits de son dernier livre pour en faire un film avec George Clooney dans le rôle principal. Seule une séance de soumission, avec Alice en dominatrice « Super Cowgirl », pourra lui faire expier sa faiblesse d’âme. Quant aux forces infernales, rien ne vaut les bonnes vieilles méthodes d’invocation ou de révocation de démons, avec, le cas échéant, l’aide d’artifices plus matériels si un grain d’ellébore vient gripper la conjuration. D’autant que la petite Alice, si elle est bel et bien sorcière diplômée, a quand même dû sécher quelques cours, vu qu’elle a souvent un peu de mal avec ses sortilèges et ses incantations. Si elle parvient toujours à sauver le monde des invasions démoniaques, il faut bien admettre que la chance est loin d’être une composante négligeable dans le processus.
Si les deux premiers tomes de « Je suis une sorcière » se présentaient sous forme d’histoires complètes. Ce dernier volume, tout comme le précédent, est un recueil de six histoires courtes, s’étalant sur une année complète. Tout commence à Noël, normal, naissance oblige. Mais, en lieu et place du bonhomme rondouillard vêtu de rouge, c’est le Père Fouettard qui s’invite chez Alice. Il n’apprécie guère que la jeune sorcière lui pique son rôle en se bombardant elle-même mère fouettarde dans son petit donjon SM. Une irruption non prévue au programme qui prend Alice de court, tandis que le mongol, croisement d’Attila et de Gengis Khan, la prend au collet. C’est le fidèle Rex qui vient au secours de sa maîtresse. Prouvant ainsi qu’un banal fusil à pompe est parfois largement aussi efficace qu’une formule alambiquée, toujours difficile à prononcer quand on est en train de se faire étrangler d’une poigne de fer. Puis vient le festival d’Angoulême, grand raout annuel de la bande dessinée. Non pas qu’Alice ait eu en tête de s’y rendre elle-même. C’est juste qu’elle se trouve dans le train qui y conduit tout le gotha parisien de la profession. Ce qui lui permet de détecter la présence d’Ur-Baälog, le collectionneur d’âmes en personne, incarné dans le corps d’un dessinateur à succès. Elle n’a donc d’autre choix que de le combattre, dans les toilettes pour hommes d’un bar branché. On ne choisit pas toujours le théâtre de ses opérations.
Cette histoire donne l’occasion à Arnon de croquer quelques personnages pittoresques qui, s’ils sont fictifs, n’en sont sûrement pas moins inspirés par quelques personnalités bien réelles. Au printemps, c’est Pâques qui voit fleurir cloches, œufs, poules et autres lapins en chocolat. Et qui semble également donner des idées à un serial violeur. Qui agit furtivement et rapidement. Très rapidement. « Tac tac tac », l’affaire est rondement menée. Alice elle-même subira ses assauts, chez elle, dans son laboratoire. De même que l’inspectrice Duras, chargée de l’enquête, et affublée de son adjoint, Mollet, un obsédé sexuel de première classe. Alice comprend vite que le violeur fou n’est autre que le Lièvre de Pâques, démon libidineux qui saute sur tout ce qui bouge. Là encore, c’est Rex qui sauve sa maîtresse, déguisée en Playboy Bunny, en logeant une balle en pleine tête de l’avatar. 21 juin, son solstice d’été, sa fête de la musique, ses feux de la Saint-Jean. Comme chaque année, Alice prépare l’immolation d’un homme de paille afin d’empêcher le chaos de déferler sur le monde. On n’a pas toujours des métiers faciles, c’est rien de le dire. Manque de chance, un podium géant est installé juste sous ses fenêtres, ce qui n’aide guère à la concentration. Manque de chance (bis), c’est aussi soir de pleine lune, ce qui n’aide guère à calmer les ardeurs de Rex, loup-garou de son état, rappelons-le. D’autant que la brave bête, encore humaine, est également travaillée par la musique.
Si certains styles semblent l’apaiser, voire l’endormir, comme la chanson française soporifique, d’autres, en revanche, ont tendance à l’exciter, comme le rap, ou à l’énerver, comme la java-punk-balkano-celtique. Et quand arrive la chorale d’enfants, l’odeur de chair fraîche est trop forte, Rex se libère de ses chaînes et se jette dans la mêlée. Heureusement pour Alice, les feux de poubelles et de voitures allumés par un public déchaîné lui permet de profiter de ces bûchers improvisés pour y sacrifier son pantin de paille, écartant ainsi, pour une année supplémentaire, les forces des ténèbres qui n’ont plus qu’à se rabattre sur une partie de petits chevaux en Enfer. L’été, ça sent les vacances et ça a tendance à faire se dénuder les corps. Ce qui fait prendre conscience à Alice que son hygiène alimentaire n’est peut-être pas ce qui se fait de mieux pour sa ligne. Impression confirmée par Ubig, le dieu-bouc de la lubricité, qu’elle vient d’invoquer mais qui la traite de « boudin » avant de disparaître dans un nuage de soufre. Du coup, une seule solution, jogging et salle de musculation pour retrouver une (des) forme(s) d’athlète. L’occasion de se rendre compte que les démons ne sont pas tous surnaturels, certains sont aussi très humains, surtout quand la jalousie vient obscurcir leur jugement. Au final, Alice aura quand même perdu quatre kilos dans l’affaire, de quoi lui faire entrevoir l’avenir immédiat de manière un tantinet plus positive.
Puis l’année s’achève, déjà, avec Halloween, ou Samain, ça dépend de sa confession. Pour l’occasion, Alice a mis les petits plats dans les grands en organisant une fête aux lampions à laquelle elle a convié quelques démons de ses amis. Si, il en existe de moins mauvais que d’autres. Mais comme il faut aussi un petit sacrifice pour mettre un chouia d’ambiance, elle a aussi invité un gothique, un vrai, à la petite sauterie, future victime d’une décapitation en bonne et due forme. Du moins, ça, c’est la théorie. C’est sans compter sur la présence de Vermina, qui veut se garder le sacrifié pour elle toute seule. Une torche habilement enfoncée dans le gosier permet de renvoyer la démone sur son plan. Mais celle-ci ne quitte pas les lieux d’un simple pschitt et en laissant un petit amas de cendres au sol. Non, elle soigne sa sortie en une belle explosion bien chaleureuse, et comme Alice se trouve dans le rayon sulfureux, elle subit quelques dommages collatéraux. L’album se termine sur une Alice aux mains et au visage brûlés et devenue aveugle. Aïe ! Voilà qui n’augure rien de bon pour son avenir. S’en sortira-t-elle ? Retrouvera-t-elle la vue ? Le suspense est à son comble. Encore qu’on puisse supposer que, en tant que sorcière, elle doit bien pouvoir disposer de quelques remèdes non répertoriés par la pharmacopée traditionnelle. Jean-Marie Arnon continue à s’amuser à créer des démons tous plus inattendus les uns que les autres. Je me demande même s’il ne s’agit pas là de sa principale motivation avec cette série. Ce qui ne l’empêche pas de brosser également quelques portraits d’humains assez gratinés. Il en est peu qui sortent indemnes de son coup de crayon nerveux et de son coup d’oeil acerbe. Il y a là pas mal de névrosés, de pervers, de dérangés, ce qui fait tout le sel de la série, dont le thème se prête à merveille à ce trombinoscope pour le moins décalé. Un zeste d’érotisme, un nuage de violence, une larme d’humour, un brin de cynisme, tout est réuni pour faire de « Je suis une sorcière » une série Z de grande facture. Même si les éditeurs semblent beaucoup moins enthousiastes, puisqu’Inanna est le troisième à être mis à contribution, après Albin Michel et Organix Comix. Ce qui ne doit pas être des plus confortables pour se lancer dans une suite éventuelle. Souhaitons néanmoins qu’Arnon puisse nous en servir une prochainement.
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