Les personnages des nouvelles de ce recueil se tiennent en équilibre entre le rire et le désespoir, comme des galaxies qui oscilleraient entre l'expansion et l'effondrement. Cette tension qui les retient fait ressortir des liens et des noeuds, sauve des vies et anime les objets. Les Huits récits de ce recueil rendent hommage à la beauté de la complexité humaine [...] (extrait de la quatrième de couverture)
Je ne me suis pas méfiée, j'ai commencé ce livre tout tranquillement, et voilà que l'on me propulse au beau milieu d'un service de néonatologie, alors - même si petit Théo est devenu grand depuis - ma lecture s'est tout à coup logée au niveau des tripes et n'a plus lâché cet endroit jusqu'à la fin, ou presque.
Neil Smith ne nous ménage pas - ce n'est pas le but - ni avec ses mots (quelques injures verbales distribuées ici et là), ni avec ses histoires (du lourd, du mortel, du difficile à vivre, et puis c'est tout), et ça marche, c'est efficace et terriblement humain, émouvant.
Une femme, qui a décidé de faire un enfant "toute seule", accouche prématurément. Un jeune garçon, qui vient de perdre son père, se pose des questions sur les sentiments qui le lient à son ami. Des malades, atteints de tumeurs, se vengent d'un escroc. Une petite fille, victime d'une maladie rare, voit défiler sa vie à toute vitesse en avant, puis à reculons. Un couple d'étudiants tente de continuer à vivre après une fusillade. Etc...
Toutes ces nouvelles sont excellentes, vous l'aurez compris (surréalistes, loufoques et profondes aussi) mis à part la dernière qui m'a laissé perplexe : l'auteur se loge dans la peau d'une paire de gants et nous raconte ses états-d'âme (?!).
L'humour est inscrit dans chaque texte, un humour un peu grinçant, mais bien présent.
Voici donc un cocktail de nouvelles, ébouriffant, qui mérite bien son titre de "Big Bang"...je vous engage à y jeter un oeil à l'occasion, il vous séduira sans doute !!
Un extrait...
"Jacob est assis sur une chaise en plastique dans une chambre privée au bout du couloir qui mène à l'USIN. Il berce B, emmaillotée dans une minuscule courtepointe aux carreaux verts et jaunes. On ne voit que le visage de la petite. Sans le tube, elle a la bouche en bouton de rose de Jacob. Il chante. Doucement, lentement, comme si la chanson, qui porte sur le mot le plus long du monde, était une berceuse. An l'a choisi comme père en se disant qu'il ne s'attacherait pas. Le voici pourtant - en train de bercer sa fille et de fredonner pour elle. An s'assoit sur le lit à côté de lui. Elle palpe la courtepointe. L'hôpital l'offre en souvenir aux parents : une courtepointe, une mèche de cheveux et une empreinte des pieds de leur bébé mort. Elle se demande si, sous la courtepointe, les pieds de B sont déjà noircis par l'encre.
- Tu veux la prendre ? demande Jacob.
Elle se contente de toucher la tête de B, le tissu mou où l'on sent le pouls d'un bébé, mais où elle même ne sent rien du tout. Jacob recommence à chanter d'une voix audible. An fixe B blottie dans les bras de l'homme. Dans la salle d'accouchement, se souvient An, la petite avait repoussé tout le monde. Au bout d'un moment, elle dit :
- Je ne t'aime pas.
Elle attend la réplique habituelle de Jacob : "Moi aussi je ne t'aime pas." Mais alors, il lève sur elle un visage qui a la couleur de la cendre. Il a compris ce qu'elle voulait dire.
- Pourquoi ? demande-t-il, l'air peiné et perplexe.
- Mais je l'aimais bien, elle, dit An sur un ton presque suppliant. Je l'aimais bien à mort.
Jacob commence à pleurer sans bruit. Lorsqu'il a terminé, il murmure :
- C'est déjà quelque chose.
Et An, les bras serrés sur la poitrine, comme pour éviter de voler en éclats, espère qu'il a raison."
La lecture de Lily