Magazine Culture
Le retour de Bernard Tapie? À ce point de loufoquerie et de mépris envers l’usage même de la parole publique par temps de crises gravissimes, les mots se bousculent pour exprimer l’ampleur de notre dégoût. La politique française de l’après-régionales nous donne décidément le vertige – façon perte d’équilibre – alors que la situation réclamerait au contraire de se raccrocher à nos fils d’Ariane pour retrouver du sens et de la raison. Le petit tempo médiacratique a même connu, hier, un emballement surréaliste que nous pourrions franchement railler en rigolant si nous en avions l’envie, ce qui n’est pas du tout le cas vu les circonstances. Bernard Tapie déclare donc qu’il veut «revenir en politique». Le «signal d’alarme» des dernières élections aurait convaincu l’homme (d’)affairiste et l’ex-sous-ministre mitterrandiste de donner de sa personne et de «reprendre le combat». Et pas n’importe lequel: celui contre l’extrême droite. Vous ne rêvez pas! Pas mal, n’est-ce pas, pour réenchanter la politique et repartir sur des bases saines, éthiques et moralement compatibles avec l’idée que nous nous faisons de la République… Qu’un Tapie ose encore venir parader –après tout ce que l’on sait– en prétendant qu’il peut constituer un barrage au Front national, et que, en plus, depuis des heures et des heures, chacun se jette comme des affamés sur cette information torchon, voilà qui en dit long sur l’état de notre vie politique et l’absence de vigueur et de résistance de la démocratie. À ce point de loufoquerie et de mépris envers l’usage même de la parole publique par temps de crises gravissimes (économique, sociale, politique, citoyenne, etc.), les mots se bousculent pour exprimer l’ampleur de notre dégoût. Désolant. Affligeant. Répugnant. Pathétique… Jamais dans son cœur vivant la politique n’a été aussi «déshistorisée» qu’aujourd’hui. À se demander si une certaine négligence pour le peuple et une certaine indifférence pour l’histoire n’entretiennent pas quelque secret rapport. Pendant ce temps-là? La collectivité territoriale de Corse vibre d’accents nationalistes aux relents antirépublicains. Et Hollande et Valls continuent de chasser ouvertement sur les terres centristes et préparent la constitutionnalisation de l’état d’urgence, ultime coup de barre à droite. Il est temps que l’année s’achève. Pour passer à des choses plus ambitieuses et beaucoup plus impérieuses pour notre avenir. [EDITORIAL publié dans l'Humanité du 21 décembre 2015.]