Le but de ce billet n'est pas de vous mettre le moral dans les chaussettes pour Noël, mais de ne pas se voiler plus longtemps la face sur l'état de santé réel de l'économie européenne. Trop de personnes, souvent intéressées par les chiffres qu'elles produisent ou commentent, laissent entendre que la zone euro est désormais sortie d'affaire. Et bien entendu, les médias se font pour la plupart une joie de relayer enfin une information positive, quand bien même la situation des individus qui la lisent se dégrade à toute vitesse.
Les dépenses prévues pour Noël
Selon la dernière étude de Deloitte France pour Noël 2015, les Français auraient prévu de consacrer 577 euros aux repas, cadeaux et autres plaisirs de Noël.
[ Source : DNA ]
Mais de là à en déduire qu'une légère amélioration des dépenses prévues pour Noël est synonyme de reprise économique, il n'y a qu'un pas qu'il faut se garder de franchir ! En effet, cela reviendrait à faire du keynésianisme hydraulique, c'est-à-dire à conclure que toute dépense de Noël est source de croissance économique.
Or, si la personne qui vous offre un cadeau a dû s'endetter pour cela, je ne vois pas bien en quoi il s'agit d'une amélioration de l'économie. De même, si vous avez économisé toute l'année pour acheter un peu plus à Noël, vous n'avez en fait que reporté dans le temps une partie de vos dépenses ; donc aucune amélioration a priori de l'économie. Et je ne parle même pas du règne de l'inutile durant le mois de décembre...
Les faits sont têtus
Pendant que certains croient que les dépenses de Noël vont relancer l'économie (ou en sont déjà le signe), les faits restent têtus :
* le graphique ci-dessous montre l'extrême difficulté à faire remonter le taux d'inflation vers la barre des 2 %, malgré un premier quantitative easing au début de l'année 2015 :
[ Source : Eurostat ]
Face à ce constat, la BCE a annoncé le 3 décembre un nouvel assouplissement de sa politique monétaire.
* pour relancer l'économie de la zone euro, il faudrait conjuguer la politique monétaire expansionniste avec une politique budgétaire coordonnée au niveau européen, ce qui n'arrivera jamais ;
* la zone euro fait face à un grave problème de demande ;
* le commerce mondial s'effondre ;
* la Chine est en crise profonde ;
* le taux de chômage demeure stratosphérique dans de nombreux pays ;
* la Grèce est coulée ;
* l'or n'est pas une valeur refuge ;
* le sauvetage des banques en Italie vire au cauchemar ;
* l'on s'achemine, en France, vers une bipolarisation du marché du travail, c'est-à-dire une disparition des emplois intermédiaires et une concentration aux extrémités (emplois peu qualifiés et emplois très qualifiés) ;
* l'ubérisation est un cauchemar tout éveillé où nous serions tous des autoentrepreneurs, en concurrence sur un marché coté en continu de la fourniture de service... Les rémunérations seront dès lors très variables dans le temps et selon les personnes, ce qui posera d'innombrables questions sur le financement de l'État et de la Sécurité sociale.
* la faible croissance de la zone euro s'explique pour l'essentielle par la baisse des prix du pétrole et non par d'autres facteurs plus durables, comme le montre la faiblesse dramatique de l'investissement productif, qui pourtant aurait dû retrouver rapidement des couleurs avec cette politique monétaire expansionniste ;
* certains économistes parlent déjà de stagnation séculaire, c'est-à-dire de la disparition définitive de la croissance économique.
Bref, à part la conjonction des planètes en Europe (Euro faible, pétrole bas et taux d'intérêt au plancher), la zone euro ne peut s'appuyer pour l'instant sur aucun moteur autonome de croissance. Pire, les quelques éléments évoqués ci-dessus témoignent qu'une légère amélioration macroéconomique peut très bien aller de pair avec une dégradation de la majorité des situations microéconomiques !
D'où l'intérêt, du reste, d'avoir une presse de qualité, indépendante des groupes de pression économiques et capable de fournir une analyse circonstanciée de la situation. Et c'est un truisme d'affirmer qu'une telle presse a un coût !
Joyeux Noël tout de même !
Mais bien entendu, malgré la montée des populismes et extrémismes en tous genres, on ne change pas une stratégie économique qui perd... puisqu'elle pourrait peut-être un jour fonctionner (Cf. Shadoks) ! On nous dit même que c'est la seule et unique voie pour renouer avec la prospérité, d'où le hiatus grandissant entre ceux qui s'expriment encore dans les urnes (et qui font peur au berger...) et la masse qui se détourne de la politique. Bref, tout va très bien Madame la Marquise :
sacha distel tout va très bien madame la marquise par vieuxsnock
Et pourtant des solutions existent, mais encore faudrait-il avoir le courage d'admettre que l'on s'est trompé (qu'on nous a trompés ?)... Sur ce, même si nous sommes en pleine crise, je vous souhaite un joyeux Noël !