Enquête de Poezibao : l’art, un recours ? / réponse d’Antoine Emaz

Par Florence Trocmé


Poezibao a posé à plusieurs de ses correspondants la question suivante :
L’art est-il, pour vous personnellement, dans votre vie quotidienne, un recours en ces temps de violence et de trouble(s) et si oui en quoi, très concrètement, littérature, musique, arts plastiques ?
Réponse d’Antoine Emaz

Angers, le 11.12. 2015
Chère Florence,
Je vois bien ta question. Depuis longtemps l’époque est vaseuse, mal respirable, peu propice… mais depuis un mois, on arrive à une saturation de violence et de bêtise qui laisse dans une sorte de K.–O. nauséeux. Même les lumières de noël ont du mal à clignoter autrement que de façon absurde. Alors, l’art comme recours ? Je ne sais pas.
Je crois que dans un premier temps, non. J’ai surtout besoin de silence, de distance, de solitude. Pas vraiment pour réfléchir, simplement pour me retrouver, et retrouver les autres, après. Une sorte d’écart. Si je pouvais partir au bord de la mer, je le ferais. Là, je marche souvent dans une longue avenue sans voiture, bordée de vieux platanes en tenue d’hiver, qui donne sur un grand jardin public. Ou bien, à la maison, je fais de la cuisine, me repose, travaille un peu. Je lis les recueils de poésie qui arrivent, j’écris aux amis ou dans le carnet ; si j’écoutais de la musique, je crois que serait du Bach, les suites pour violoncelle, ou en jazz, du Chet Baker, mais j’aime autant le silence. Tu vois, je ne crois pas qu’il y ait, au moins pour moi, un recours spécifique à un art particulier en temps de misère. Au contraire, j’ai besoin de retrouver la présence normale, habituelle, quotidienne de l’art, c’est-à-dire sa capacité à nous ramener à la vie, à une possible beauté, à un espoir maigre, lucide. Les événements assez puissants pour nous couper de cette relation à l’art en le faisant apparaître comme vain, dérisoire, sont profondément mortifères. Cela ne veut pas dire s’aveugler et vivre dans une bulle esthétique ; de toute façon le dehors ne cesse de se rappeler à nous, il nous envahit dès que l’on allume la télé ou la radio. Lorsque les circonstances assaillent, le plus nécessaire pour moi reste de tenir bon dedans, c’est-à-dire établir assez de silence et de lenteur pour « travailler à bien penser », comme le disait Pascal, qui pensait bien mieux et plus vite que moi. Travailler aussi la mémoire, et puis voir quoi faire, ce qui n’est pas si simple. Tout cela demande du temps et du calme ; l’art peut aider à retrouver son esprit en quelque sorte, mais autant que tout ce qui, au quotidien, nous permet de vivre. Il faut retourner du côté de la vie, sortir de l’ornière de la peur, la haine, la violence ; pour cela, le bouquet d’anémones bleues posé sur la table est d’un bon recours, aussi.
[…]
Antoine Emaz

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