Dans la ville de Saintes, capitale de la Saintonge, au coeur du pays des anciens Santons, se trouve l'un des plus fascinants monuments de la Gaule romaine. L'arc de Germanicus, construit en 19 ap. J.-C. en l'honneur de ce prince très populaire de la maison impériale romaine, est orné d'une classique dédicace au destinataire de l'édifice, dont le commanditaire a aussi laissé son nom, soucieux de valoriser son acte d'évergétisme (générosité envers ses concitoyens) dans l'espace public de la cité des Santons. Mais cette inscription a priori classique recèle un trésor pour l'histoire de la Gaule. Voici ce qu'elle nous apprend : GERMANICO [CAESA]R[I] TI(berii) AUG(usti) F(ilio)DIVI AUG(usti) NEP(oti) DIVI IULI PRONEP(oti)[AUGU]RI FLAM(ini) AUGUST(ali) CO(n)S(uli) II IMP(eratori) II //C(aius) IVLI[us] C(aii) IVLI(i) OTVANEUNI F(ilius) RVFVS C(aii) IVLI(i) GEDOMONIS NEPOS, EPOTSOVIRIDI PRON(epos), [SACERDOS ROMAE ET AUG]USTI [AD A]RAM QU[A]E EST AD CONFLUENT[E]M, PRAEFECTUS [FAB]RUM, D(at). Notre traduction française : À Germanicus César, fils de Tibère Auguste, petit-fils du divin Auguste, arrière-petit-fils du divin Jules, augure, flamine augustal, consul pour la deuxième fois, salué imperator pour la deuxième fois.Caius Julius Rufus, fils de Caius Julius Otuaneunus, petit-fils de Caius Julius Gedemo, arrière-petit-fils d’Epotsoviridius, prêtre de Rome et d’Auguste à l’autel qui se trouve au Confluent, préfet des ouvriers, a fait don (de cet arc). Après la dédicace à Germanicus, vient donc le nom du notable santon qui a commandé l'arc, Caius Julius Rufus ; c'est là que les choses deviennent passionnantes, car la longue dénomination du personnage révèle en quelques lignes comment la Gaule celtique est devenue gallo-romaine. En effet, Caius Julius Rufus a précisé son arbre généalogique, jusqu'à la génération de son arrière-grand-père. Si Rufus porte le nom classique du citoyen romain, avec trois composantes purement latines (prénom Caius, gentilice qui se transmet de père en fils, ici Julius ; surnom Rufus : le roux), ses ascendants, eux, n'étaient pas encore complètement romains. Son père et son grand-père portent déjà les tria nomina romains, mais leur surnom, au lieu d'être latin, est un nom bien celte : Otuaneunus et Gedemo. L'arrière-grand-père de Rufus, quant à lui, ne porte pas les tria nomina, mais seulement un nom unique celtique, Epotsoviridius : il n'était pas citoyen romain. Ces quelques enseignements en disent long sur l'histoire des arisocrates celtes au lendemain de la Guerre des Gaules. En effet, Epotsoviridius, aristocrate celte des Santons, a vécu sans doute dans la première moitié du Ier siècle ap. J.-C. ; on peut estimer sa naissance aux alentours de 100 av. J.-C. ; il avait donc une quarantaine d'années quand éclate la Guerre des Gaules, à laquelle il participa forcément à un titre ou un autre. Quoi qu'il en soit, son fils Gedemo a reçu la citoyenneté romaine d'un certain Caius Julius, dont il a repris la prénom et le gentilice : ce puissant personnage fut soit César lui-même, soit plutôt son fils adoptif, le premier empereur Auguste (27 av. J.-C. - 14 ap. J.-C.). Ce privilège recompensait sans doute la fidélité de cette famille d'aristocrates gaulois envers le pouvoir romain. Si à la génération suivante, Otuaneunus a conservé un surnom celte, son fils a choisi, le premier, d'adopter une dénomination parfaitement romaine : en trois générations, l'aristocratie gauloise était devenue gallo-romaine. Les formes et l'expression sont désormais parfaitement romaines, même si les comportements et les habitudes restent souvent proches de la souche celtique. Ici, aucun apport de peuplement romain, le changement s'est fait en interne, librement. Et on comprend bien pourquoi : le pouvoir est désormais romain, c'est Rome qui incarne la puissance et les possibilités d'ascension sociale. Notre Rufus a d'ailleurs bien prfité de sa situation : il est devenu prêtre au grand sanctuaire fédéral gaulois de Lyon (le Confluent), et préfet des ouvriers, c'est-à-dire un chevalier romain chargé de seconder un magistrat supérieur romain.En moins d'un siècle, les élites gauloises se sont intégrées d'elles-mêmes à la sphère politique et culturelle romaine ; le petit peuple, quant à lui, reste bien plus longtemps marqué par des influences celtiques manifestes, n'obtient que beaucoup plus tard la citoyenneté romaine (édit de Cracalla en 212 ap J.-C.) et, en plein IVème siècle, quand Saint Martin sillonnera les campagnes du centre-ouest de la Gaule, il lui faudra un interprète pour se faire comprendre à des pagani qui n'entendaient que le celtique. Arthur L.
Dans la ville de Saintes, capitale de la Saintonge, au coeur du pays des anciens Santons, se trouve l'un des plus fascinants monuments de la Gaule romaine. L'arc de Germanicus, construit en 19 ap. J.-C. en l'honneur de ce prince très populaire de la maison impériale romaine, est orné d'une classique dédicace au destinataire de l'édifice, dont le commanditaire a aussi laissé son nom, soucieux de valoriser son acte d'évergétisme (générosité envers ses concitoyens) dans l'espace public de la cité des Santons. Mais cette inscription a priori classique recèle un trésor pour l'histoire de la Gaule. Voici ce qu'elle nous apprend : GERMANICO [CAESA]R[I] TI(berii) AUG(usti) F(ilio)DIVI AUG(usti) NEP(oti) DIVI IULI PRONEP(oti)[AUGU]RI FLAM(ini) AUGUST(ali) CO(n)S(uli) II IMP(eratori) II //C(aius) IVLI[us] C(aii) IVLI(i) OTVANEUNI F(ilius) RVFVS C(aii) IVLI(i) GEDOMONIS NEPOS, EPOTSOVIRIDI PRON(epos), [SACERDOS ROMAE ET AUG]USTI [AD A]RAM QU[A]E EST AD CONFLUENT[E]M, PRAEFECTUS [FAB]RUM, D(at). Notre traduction française : À Germanicus César, fils de Tibère Auguste, petit-fils du divin Auguste, arrière-petit-fils du divin Jules, augure, flamine augustal, consul pour la deuxième fois, salué imperator pour la deuxième fois.Caius Julius Rufus, fils de Caius Julius Otuaneunus, petit-fils de Caius Julius Gedemo, arrière-petit-fils d’Epotsoviridius, prêtre de Rome et d’Auguste à l’autel qui se trouve au Confluent, préfet des ouvriers, a fait don (de cet arc). Après la dédicace à Germanicus, vient donc le nom du notable santon qui a commandé l'arc, Caius Julius Rufus ; c'est là que les choses deviennent passionnantes, car la longue dénomination du personnage révèle en quelques lignes comment la Gaule celtique est devenue gallo-romaine. En effet, Caius Julius Rufus a précisé son arbre généalogique, jusqu'à la génération de son arrière-grand-père. Si Rufus porte le nom classique du citoyen romain, avec trois composantes purement latines (prénom Caius, gentilice qui se transmet de père en fils, ici Julius ; surnom Rufus : le roux), ses ascendants, eux, n'étaient pas encore complètement romains. Son père et son grand-père portent déjà les tria nomina romains, mais leur surnom, au lieu d'être latin, est un nom bien celte : Otuaneunus et Gedemo. L'arrière-grand-père de Rufus, quant à lui, ne porte pas les tria nomina, mais seulement un nom unique celtique, Epotsoviridius : il n'était pas citoyen romain. Ces quelques enseignements en disent long sur l'histoire des arisocrates celtes au lendemain de la Guerre des Gaules. En effet, Epotsoviridius, aristocrate celte des Santons, a vécu sans doute dans la première moitié du Ier siècle ap. J.-C. ; on peut estimer sa naissance aux alentours de 100 av. J.-C. ; il avait donc une quarantaine d'années quand éclate la Guerre des Gaules, à laquelle il participa forcément à un titre ou un autre. Quoi qu'il en soit, son fils Gedemo a reçu la citoyenneté romaine d'un certain Caius Julius, dont il a repris la prénom et le gentilice : ce puissant personnage fut soit César lui-même, soit plutôt son fils adoptif, le premier empereur Auguste (27 av. J.-C. - 14 ap. J.-C.). Ce privilège recompensait sans doute la fidélité de cette famille d'aristocrates gaulois envers le pouvoir romain. Si à la génération suivante, Otuaneunus a conservé un surnom celte, son fils a choisi, le premier, d'adopter une dénomination parfaitement romaine : en trois générations, l'aristocratie gauloise était devenue gallo-romaine. Les formes et l'expression sont désormais parfaitement romaines, même si les comportements et les habitudes restent souvent proches de la souche celtique. Ici, aucun apport de peuplement romain, le changement s'est fait en interne, librement. Et on comprend bien pourquoi : le pouvoir est désormais romain, c'est Rome qui incarne la puissance et les possibilités d'ascension sociale. Notre Rufus a d'ailleurs bien prfité de sa situation : il est devenu prêtre au grand sanctuaire fédéral gaulois de Lyon (le Confluent), et préfet des ouvriers, c'est-à-dire un chevalier romain chargé de seconder un magistrat supérieur romain.En moins d'un siècle, les élites gauloises se sont intégrées d'elles-mêmes à la sphère politique et culturelle romaine ; le petit peuple, quant à lui, reste bien plus longtemps marqué par des influences celtiques manifestes, n'obtient que beaucoup plus tard la citoyenneté romaine (édit de Cracalla en 212 ap J.-C.) et, en plein IVème siècle, quand Saint Martin sillonnera les campagnes du centre-ouest de la Gaule, il lui faudra un interprète pour se faire comprendre à des pagani qui n'entendaient que le celtique. Arthur L.