Pendant chacune des trente-quatre années passées dans une multinationale américaine, à la fin de chaque exercice, j’étais convoqué par mon supérieur hiérarchique qui procédait alors à l’évaluation de ma performance. Quelque temps après, au cours d’un nouvel entretien, il me communiquait mes objectifs pour l’année qui commençait. Récemment, de jeunes collègues, face à la faible croissance du revenu de l’entreprise, faisaient part de leurs regrets à leurs anciens : « Ah, comme vous aviez de la chance. Autrefois, les affaires étaient plus faciles que maintenant ». Il nous fallait les détromper : même dans les années de forte expansion, les affaires n’avaient jamais été faciles et des années avaient été manquées. Pour la simple raison que l’entreprise ne considérait pas la progression enregistrée d’une année à l’autre mais comparait les résultats aux objectifs, lesquels ne pêchaient jamais par la modestie. Il me semble avoir observé un mécanisme comparable lors de ces élections régionales.
A la veille de ces scrutins, les prévisions étaient unanimes :
- la gauche, détentrice, à une exception près, de toutes les régions, allait se trouver balayée.
- la droite, quasi disparue du paysage régional, allait submerger la gauche par une vague bleue.
- le Front national allait, pour la première fois, conquérir deux régions.
Des prévisions, aussi proches du but, devenaient en quelque sorte des objectifs raisonnablement révisés. Les premiers commentaires faits après les résultats furent motivés, comme dans le domaine entrepreneurial, par la distance séparant ces résultats des objectifs. Heureusement, on commence à revenir à une conception plus réaliste des faits. À savoir :
- la gauche a perdu plus de la moitié des régions qu’elle dirigeait
- la droite a regagné ces mêmes régions
- le Front national a obtenu son plus haut score national soit 6,8 millions de suffrages.
Ce dernier record ne permettant pas encore au FN de conquérir le pouvoir, la question désormais posée aux partis n’est pas de savoir ce que les Républicains vont faire pour prendre des voix au FN mais plutôt ce que le FN va entreprendre pour subtiliser des électeurs à la droite.