Je suis surpris de constater la vitesse à laquelle ce que j’imaginais de pire est en train de se produire.
J’avais ainsi imaginé, pas vraiment sérieusement, que, constatant la hausse un peu trop vigoureuse du FN dans l’opinion publique, le gouvernement choisirait différentes tactiques pour saboter la progression du parti frontiste, dont l’une consisterait à harceler ses membres les plus visibles de différentes tracasseries judiciaires et administratives, pouvant aller jusqu’à l’interdiction complète du parti, au motif que ce dernier constituerait une menace à l’ordre public dans ces périodes troubles. Après tout, ne l’oublions pas, nous sommes en état d’urgence, les enfants, et il n’est donc pas question de se laisser aller à des débordements qui pourraient nous faire glisser dans de grandes bassins d’intolérance, qui mènent inévitablement aux heures les plus sombres et tout le tralala habituel.
Bien évidemment, je n’y croyais pas. Interdire le FN, l’embarrasser de mille misères, c’est à la fois délicat juridiquement parlant et politiquement dangereux. Juridiquement, cela suppose d’avoir des éléments nombreux, factuels et très solides sans quoi les actions intentées risquent de faire long feu. Et politiquement, frapper de travers, c’est prendre le risque d’alimenter encore un peu plus la posture de victime des dirigeants, renforçant ainsi son discours.
Apparemment, cette analyse est dépassée.
Peut-être dans l’optique du prochain scrutin présidentiel, les élites qui nous gouvernent ont-elles jugé que le temps manquait pour faire dans la finesse. Peut-être la panique s’est-elle emparée du gouvernement devant les scores un peu trop vigoureux d’un parti qu’ils entendent pourtant cantonner à la portion congrue, ou peut-être le prix payé pour avoir justement réussi à les limiter dans leur progression (aucune région gagnée) a-t-il été trop fort puisqu’à présent, le PS a moins de conseillers régionaux que le FN, et surtout, chaque candidat potentiel d’une des gauches plurielles va pouvoir monnayer cher sa bonne discipline. Peut-être une autre stratégie, plus subtile encore, est-elle à l’œuvre, ce qui ne surprendra que ceux qui prennent Hollande et Valls pour des incompétents qu’ils ne sont que hors du domaine de la politique politicienne où, il faut le reconnaître, ils excellent… Peut-être un mélange de tout ça ?
Il faut dire que là où Mitterrand avait pu incorporer le Parti Communiste pour mieux le vider de sa substance, et qu’il avait fait monter le FN pour mieux saper les bases idéologiques de la droite, la suite a rendu les choses singulièrement plus compliquées pour les politiciens actuels qui ne peuvent plus s’allier avec le parti tant honni, qui peut, tout à loisir, se montrer comme la seule force réelle d’opposition (les dernières régionales semblant même leur donner raison).
En tout cas, force est de constater qu’on observe ces derniers jours une accélération dans le n’importe quoi artisanal finement ouvragé par Hollande et Valls, nos ténors de l’improvisation politique.
C’est à la faveur d’une phrase mal tournée d’un Jean-Jacques Bourdin bien en forme que la polémique s’est mise en place : comparant allègrement le Front National à l’État islamique, l’animateur de RMC a déclenché une vague de protestation dans les rangs frontistes, qui s’est traduite par un triplet de tweets photographiques de Marine Le Pen, dans lesquels la dirigeante du parti expose les actes de cruauté perpétrés par Daech.
Ces tweets vont devenir, dans les mains d’un gouvernement probablement un peu trop ivre du pouvoir que confère l’état d’urgence, un instrument de scandale facile.
Bien sûr, on peut largement gloser sur la pertinence des photos choisies par la leader frontiste, et on doit aussi se rappeler que cette personne vise ouvertement la magistrature suprême : on ne peut vraiment pas dire que cette démonstration relativement vide de tout sang-froid laisse présager d’une excellente gestion des affaires courantes d’un pays qui comptent assez régulièrement ce genre de petites escarmouches, tant au plan national qu’au plan international.
Mais d’un autre côté, il est difficile de ne pas comprendre l’exaspération qui doit s’emparer d’un nombre croissant de personnes témoin de ce genre de pataquès grandiloquent.
Je passe sur les articles presqu’amusants qui, quelques jours avant le second tour des Régionales, découvraient la médiocrité du programme économique du Front, chose qu’il leur reste à accomplir pour les programmes des autres partis, tous aussi lamentablement indigents les uns que les autres.
Mais comment qualifier exactement les actions politiques de toute une classe de dirigeants, proches du pouvoir, comme celle de Stéphane Richard, le patron de Orange, qui entend monter un fonds destiné à des « campagnes anti-FN » ? Comment la presse réagirait s’il s’agissait d’un fonds de lutte contre les partis collectivistes, destiné à des « campagnes anti-socialistes » ? Ce n’est pas qu’une question humoristique, puisque pour rappel et au regard de son programme absolument limpide, le Front National est un parti socialiste.
Et le plus consternant dans ces actions brouillonnes et politiquement hasardeuses du gouvernement, des médias et des personnages influents de la République, c’est que ce sont exactement ces actions-là qui tendent à fournir au Front National sa meilleure publicité, et des exemples concrets, vécus au jour le jour, de l’acharnement dont il se réclame être victime.
Autrement dit, nos belles-âmes courroucées par des photos ou des campagnes du Front sont précisément une des raisons du gain de popularité de ce parti et plus ils s’agitent en dénonçant, en condamnant, en vitupérant, plus ils donnent de visibilité à celui qu’ils entendent combattre. Et pendant qu’elles sont toutes à leurs cris à combattre contre leurs idéaux bafoués et leur confort mis en danger par un parti qui ne fait rien qu’à les embêter, ces mêmes belles-âmes ne trouvent rien à redire sur les comportements iniques du président de l’Assemblée Nationale (qu’un minimum d’éthique personnelle aurait poussé à la démission après sa défaite et ses propos racistes), du ministre de la Défense (qui cumulera sans vergogne son poste avec celui de président de région, contrairement à une promesse du Président de la République), ou sur tant d’autres politiciens cumulards, que le peuple voit se moquer ouvertement des règles qu’ils ont pourtant mises en place.
Et pendant que ces belles âmes font intervenir la police et les brigades de mimes de l’internet pour empêcher les tweets qui choquent, les questions qui touchent les Français (chômage en hausse, précarité toujours plus grande, formation et niveau d’instruction en berne, etc…) ne sont pas abordées et sont même copieusement noyées dans le galimatias médiatique provoqué.
Décidément, semaine rebondissante que celle qui vient de s’écouler : même lorsqu’un scrutin ne porte en réalité que sur des postes subalternes et sert surtout à caser de pâles seconds couteaux, il advient, lorsque la République est épuisée et le peuple las, que l’affaire tourne à une foire d’empoigne lamentable.
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